Avec sa « superprime », l’exécutif tente de déminer
Avec sa « superprime », l’exécutif tente de déminer
Par Cédric Pietralunga, Audrey Tonnelier
Le premier ministre a annoncé, mercredi 14 novembre, des mesures en faveur des automobilistes modestes.
Edouard Philippe, Premier ministre, sort de la Préfecture des Ardennes à Charleville-Mézières après un Conseil des ministres, mercredi 7 novembre. / Jean-Claude Coutausse / French-Politics pour «Le Monde»
Alors que le mouvement des « gilets jaunes » prend chaque jour de l’ampleur et menace de bloquer une partie de la France le 17 novembre, Edouard Philippe a répété, mercredi 14 novembre sur RTL, qu’il ne reviendrait pas sur la hausse des taxes pesant sur les carburants. Mais il a annoncé une série de mesures destinées à calmer la colère des automobilistes contre l’envolée des prix. « Je ne suis pas inquiet, je suis attentif », a reconnu Edouard Philippe avant de dévoiler les arbitrages du gouvernement.
Première décision, une « superprime » à la conversion, destinée à aider les automobilistes à changer leur vieux véhicule polluant pour un autre plus récent, viendra renforcer à partir du 1er janvier le système déjà existant. Pour les 20 % de Français les plus modestes, cette prime passera à 4 000 euros pour une voiture classique contre 2 000 euros aujourd’hui, et à 5 000 euros (contre 2 500) pour une hybride, rechargeable ou électrique.
« Un couple au smic avec trois enfants sera dans la cible », a précisé M. Philippe, de même qu’un couple « dont l’un gagne 1,8 smic et qui a deux enfants ». Devant le succès du dispositif, le premier ministre a aussi redit son objectif de financer deux fois plus de primes que prévu sur le quinquennat (1 million au lieu de 500 000).
Deuxième geste de l’exécutif : le système d’indemnités kilométriques sera « élargi » aux gros rouleurs, à partir de 60 kilomètres par jour pour les petites cylindrées, « qui consomment peu ou ne polluent pas ». Ces aides au transport seront défiscalisées, de même que celles au covoiturage : si les employeurs en proposent à leurs salariés, elles seront exonérées de cotisations sociales patronales.
« Consommer moins »
En revanche, contrairement à ce qu’avait laissé entendre le ministre de la transition écologique, François de Rugy, le 9 novembre, l’Etat ne prendra pas directement en charge ces aides mais laissera la main aux collectivités et aux entreprises. « On ne va pas faire un chèque aux gens pour compenser une hausse de taxe », répond-on à Matignon pour justifier l’abandon d’un dispositif particulièrement coûteux.
Troisième mesure, pour aider les plus modestes à payer leurs factures de chauffage, l’exécutif va ouvrir le bénéfice du chèque énergie à 2 millions de ménages supplémentaires (soit 5,6 millions de personnes). De plus, une « prime à la conversion » pour les chaudières au fioul sera mise en place l’an prochain et le crédit d’impôt transition énergétique sera étendu aux frais d’installation de nouveaux appareils. Objectif : que d’ici à dix ans, plus personne n’utilise de chauffage individuel au fioul, a indiqué le premier ministre.
L’ensemble de ces mesures, qui entreront en vigueur au 1er janvier 2019, représentera un coût supplémentaire de 500 millions d’euros, « financé par le budget de l’Etat », a indiqué M. Philippe. A Matignon, on ne précise toutefois pas comment ces nouvelles dépenses s’intégreront dans un budget 2019 déjà contraint. Mais Bercy peut compter sur une bouffée d’oxygène : d’après le projet de loi de finances rectificatif présenté le 7 novembre, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) devrait rapporter 309 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires cette année.
Sur le fond, le locataire de Matignon a répété qu’il s’agit de « mesures sociales et de transformation », soulignant que le gouvernement veut à la fois « accompagner » les plus modestes dans la transition écologique et les « libérer » de leur « dépendance » aux énergies polluantes. « Il ne s’agit pas de subventionner les carburants » mais d’inciter à « consommer moins avec des véhicules moins polluants ».
Même s’il assure que ce n’est pas l’objectif, l’exécutif espère aussi avec ces annonces désamorcer le mouvement de contestation des « gilets jaunes », qui s’annonce d’ampleur et dont le caractère reconductible donne des sueurs froides au sommet de l’Etat. « Il est possible que nous ayons porté une attention trop vive aux réformes structurelles et pas assez au quotidien des Français » depuis le début du quinquennat, reconnaît-on à l’Elysée.
« Le droit à être en désaccord »
Pour autant, pas question, comme le demande une partie de l’opposition, d’annuler la nouvelle hausse des taxes pesant sur les carburants, prévue le 1er janvier et qui doit encore alourdir de 6 centimes le prix du litre de diesel (3 centimes pour celui de l’essence). « Ce pays crève de ne pas avoir été réformé ! Ce pays crève de politiques en godille ! », a justifié Edouard Philippe sur RTL, assurant qu’il n’a jamais été envisagé par le gouvernement de renoncer à augmenter les taxes pesant sur le carbone. « Il faut être cohérent par rapport à nos engagements en matière de transition écologique, explique un proche du premier ministre. On nous a suffisamment reproché de ne pas être à la hauteur en septembre [lors de la démission de Nicolas Hulot] pour ne pas reculer alors que nous le sommes aujourd’hui. »
Concernant les blocages du 17 novembre, le premier ministre a, enfin, assuré que le gouvernement n’avait pas l’intention d’interdire certaines des manifestations, comme l’avait laissé entendre la veille le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. « Nous respectons le droit à être en désaccord (…), je suis respectueux de la liberté de manifester », a déclaré Edouard Philippe. Mais à la condition de ne pas « mettre le bololo partout ». « L’entrave à la circulation sera sanctionnée », a notamment précisé le chef du gouvernement.
Paroles de « gilets jaunes »