« Les Chatouilles » : une vie brisée par le viol
« Les Chatouilles » : une vie brisée par le viol
Par Thomas Sotinel
La comédienne et danseuse Andréa Bescond adapte à l’écran le drame de son enfance qui avait déjà donné lieu à un seul-en-scène. Un film puissant.
Ce serait une mauvaise idée que d’essayer d’abord de faire la part du cinéma, en sortant d’une projection des Chatouilles. La forme de film qu’a pris ce récit n’est qu’incidente, il s’agit d’abord de trouver un nouveau public pour raconter une histoire, le genre d’histoire que pas grand monde a envie d’entendre dans ses détails, dans sa durée – celle d’Odette, une petite fille violée par un homme adulte. Dans l’histoire de cette enfant qui porte (on le répétera souvent au long du film) le prénom du cygne blanc du ballet de Tchaïkovski, est contenue l’histoire de la coréalisatrice des Chatouilles – avec Eric Métayer –, Andréa Bescond, qui lui avait d’abord donné la forme d’un spectacle seule-en-scène.
Présenté à Cannes, dans la section Un certain regard, la version cinématographique des Chatouilles est un film hétérogène qui passe de l’affrontement direct avec la réalité à la fantaisie, de la comédie à la confession à vif, sans toujours négocier très gracieusement ses transitions. Reste que le cœur du film bat si puissamment, qu’il exige et obtient l’attention.
Chronique d’une jeunesse
Odette (Cyrille Mairesse), 9 ans, est la proie de Gilbert Miguié (Pierre Deladonchamps, opaque, ordinaire), un ami de ses parents (Karine Viard et Clovis Cornillac), qui arrache des moments d’isolement avec la petite fille pour la violer. Devenue adulte et danseuse professionnelle, Odette (Andréa Bescond) se débat avec les séquelles du crime, entre toxicomanie et psychothérapie.
Le fil de l’histoire zigzague entre l’enfance et l’âge adulte, s’embarque dans des rêves et des fantasmes (d’évasion, pas de vengeance) dans l’intention manifeste d’alléger le poids qui pèse sur le public, au risque d’émousser la force du propos. Le parcours de danseuse d’Odette, de la classe de Madame Maloc (Ariane Ascaride, qui retrouve pour l’occasion son accent du sud) aux cachetons grappillés avec des amies à l’occasion de publicités ou de petites fêtes, divague au point de relever parfois d’un tout autre film, qui serait la chronique d’une jeunesse au début de ce siècle.
Impossible pénitence
Mais, sans doute comme dans la vraie vie, le souvenir et la douleur des blessures reçues reprennent le contrôle du récit. Celui-ci trouve toute sa force dans ce que Les Chatouilles ont de plus classiquement cinématographique. Autour de la performance instinctive d’Andréa Bescond, surgissent des personnages qui donnent à cette histoire d’autres dimensions.
Il y a d’abord Carole Franck en thérapeute réticente, qui hésite à se charger d’un cas aussi pesant avant d’y accorder tant d’attention qu’elle sort de son rôle. Et surtout, Karine Viard en mère murée dans sa surdité, son aveuglement. Il faut beaucoup de temps à Odette pour révéler à ses parents ce qui lui est arrivé. Alors que son père plonge dans la contrition, cherchant une impossible pénitence, la mère donne à son remords la forme du rejet. Elle refuse de voir en sa fille une victime, adoptant le discours qui a si longtemps servi à faire rejaillir la culpabilité sur les victimes de viol. Karine Viard déploie ce mécanisme d’autodéfense toxique avec une violence d’autant plus saisissante que son personnage semble ne rien voir de sa propre abjection.
LES CHATOUILLES - un film d'Andréa BESCOND et Eric METAYER
Durée : 01:51
Film français d’Andréa Bescond et Eric Métayer. Avec Andréa Bescond, Karine Viard, Clovis Cornillac, Pierre Deladonchamps, Carole Franck, Ariane Ascaride (1 h 43). Sur le Web : www.filmsdukiosque.fr/longs-metrages/les-chatouilles
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 14 novembre)
- Mon cher enfant, film belge, français et tunisien de Mohamed Ben Attia (à ne pas manquer)
- Premières solitudes, documentaire français de Claire Simon (à ne pas manquer)
- 8, avenue Lénine, documentaire français de Valérie Mitteaux et Anna Pitoun (à voir)
- André Robillard, en compagnie, documentaire français d’Henri-François Imbert (à voir)
- Célébration, documentaire français d’Olivier Meyrou (à voir)
- Les Chatouilles, film français d’Andréa Bescond et Eric Métayer (à voir)
- Frères de sang, film italien de Damiano et Fabio D’Innocenzo (à voir)
- Sami, une jeunesse en Laponie, film suédois d’Amanda Kernell (à voir)
- Carmen et Lola, film espagnol d’Arantxa Echevarria (pourquoi pas)
- Millénium : ce qui ne me tue pas, film américain de Frederico Alvarez (pourquoi pas)
- Suspiria, film italien et américain de Luca Guadagnino (pourquoi pas)
- Les Animaux fantastiques : les crimes de Grindelwald, film américain et britannique de David Yates (on peut éviter)
- Chien de garde, film canadien de Sophie Dupuis (on peut éviter)
A l’affiche également :
- Arthur et la magie de Noël, deux courts-métrages d’animation japonais et tchécoslovaque de Takeshi Yashiro et Petr Vodicka
- Le Cœur de l’homme, film américain d’Eric Esau (sortie en salle le 15 novembre)
- Les Neiges de la soie : aux origines du ski, documentaire suisse de Mario Casella et Fulvio Mariani
- Petits contes sous la neige, programme collectif de sept courts-métrages d’animation français, russe et tchèque
- Pour l’amour de l’art, documentaire français de Jean-Luc Piacentino