Arte, vendredi 16 novembre à 22 h 25, documentaire

Robert Mapplethorpe, Look at the Pictures, de Fenton Bailey et Randy Barbato, est à notre connaissance le documentaire le plus complet sur la vie et l’œuvre du photographe américain Robert Mapplethorpe (1946-1989), dont les clichés homoérotiques et sadomasochistes continuent, près de trente ans après sa mort des suites du sida, de diffuser un entêtant parfum de scandale.

On saluera la manière très riche dont l’établissement du style de Mapplethorpe est documenté. Mais on s’étonnera que la relation, essentielle, au moins sur le plan professionnel, du photographe avec l’historien de l’art et conservateur de musée Sam Wagstaff (1921-1987) soit rapidement passée en revue et que le film ne rappelle pas davantage comment chacun des deux hommes eut une influence décisive sur l’autre.

Mapplethorpe a transmis à Wagstaff le goût frénétique de la photographie à une époque où elle était considérée comme un art mineur

En commençant une collection de clichés, qu’il achetait pour une poignée de dollars, Mapplethorpe a transmis à Wagstaff, qui avait jusqu’alors fait sa carrière dans le domaine de la peinture puis de l’art minimal, le goût frénétique de la photographie (historique, documentaire et anonyme, en particulier), à une époque où elle était, au mieux, considérée comme un art mineur.

En retour, Wagstaff fera ensuite découvrir à son amant des photos homoérotiques extraites de sa gigantesque collection. Celles-ci influenceront beaucoup le travail de Mapplethorpe dans le domaine du nu, notamment pour la série des clichés d’hommes afro-américains et de leur phallus.

Un « monstre manipulateur »

Si tout cela n’est guère rappelé, c’est probablement parce qu’on le trouve développé et précisé dans un autre documentaire, Black, White + Gray (2007), de James Crump (1 DVD Arthouse Films), qui retrace les intrications artistiques de la relation Mapplethorpe-Wagstaff – qui constituait d’ailleurs un trio avec la poétesse et chanteuse Patti Smith.

En dépit de l’absence marquante de cette dernière parmi les témoins interrogés (elle intervient en revanche beaucoup dans Black, White + Gray), ce documentaire recueille les propos, souvent très éclairants, de beaucoup de proches de Mapplethorpe, y compris ceux de ses assistant(e)s de Bond Street, où se trouvait le studio que lui avait acheté le richissime Wagstaff.

Lire la critique des expositions en 2014 : Mapplethorpe statufie les images

On est ému de voir certains modèles du photographe rappeler, quarante ans après, la relation sexuelle et/ou sentimentale qu’ils entretenaient avec lui, même si presque tous en ont gardé un souvenir amer : « On ne lui en donnait jamais assez et tout était au service de sa carrière », se souvient l’un d’eux.

Sa première galeriste, Holly Solomon, décrit Mapplethorpe comme « un monstre manipulateur que seule sa propre personne intéressait… » Ce que confirme, avec tristesse mais un peu moins de dureté, son frère cadet Edward. Ce dernier fut celui qui inspira au quasi mourant qu’était Mapplethorpe ce fameux autoportrait en forme de memento mori, où on le voit tenir une canne avec un pommeau en tête de mort.

Les qualités nombreuses du film de Bailey et Barbato n’empêchent cependant pas de remarquer un manque de recul critique sur la portée et la valeur esthétique de la production de Mapplethorpe. Car il est permis de se demander si la célébrité (qu’il désirait plus que toute autre chose) du photographe n’a pas dépassé sa valeur et si cet agent provocateur ne serait finalement pas un photographe académique, que ses clichés montrent des fleurs ou des actes sadomasochistes…

Robert Mapplethorpe, Look at the Pictures, documentaire de Fenton Bailey et Randy Barbato (USA, 2016, 1 h 44). www.arte.tv