« Jonas », un jeune homme au passé décomposé
« Jonas », un jeune homme au passé décomposé
Par Martine Delahaye
Christophe Charrier signe un premier film tout en grâce et sensibilité porté par de très bons acteurs.
Avec ce premier long-métrage, Christophe Charrier signe le très beau portrait d’un jeune homme, Jonas, dont les nuits et les jours restent embrumés par les effluves de son adolescence. Depuis le lycée, une rencontre malheureuse, un trou noir, une disparition enveloppent et aspirent Jonas, tels des tentacules, dans le gouffre du mal-être.
La trentaine ne le voit guère assagi : Jonas noie ses soirées au Boys Paradise, assoiffé de bouches, de sexe de backroom et de coups de poing. Il gâche et piétine son quotidien, jusqu’à ce qu’un jour il se sente prêt ou contraint à affronter son passé décomposé. En quête de réparation, prêt à se donner une chance de rédemption, tout comme il avait très vite appris à bien ordonner les pièces du puzzle électronique Tétris, sur sa Game Boy, quinze ans auparavant.
Entre deux époques
L’entrée en matière de ce téléfilm intimiste – qui méritait d’être découvert en salle sur grand écran – laisse imaginer un film d’horreur ou, à tout le moins, une thématique fantastique ; ce qui n’est pas le cas. Tandis que le père fait le plein d’essence et va payer à l’intérieur de la station, son fils Jonas (Nicolas Bauwens), 15 ans, joue à la Game Boy dans la voiture – on est au milieu des années 1990 – avant de sentir son regard attiré vers l’extérieur. Terrorisé, il voit alors se coller contre sa porte un ado qui le supplie de l’aider avant de disparaître, happé par un homme. Vision, ou réalité ? La deuxième partie du film amènera le spectateur à interpréter cette image de deux ados, face contre face mais séparés par une vitre, l’un tremblant, l’autre évanescent.
Ellipse temporelle. A 30 ans, Jonas (Félix Maritaud) se montre impulsif, instable, perturbé. Au hasard des nuits trouées par les lumières de la côte, au gré des soubresauts de sa moto, il sillonne Toulon et les environs comme d’autres jeunes gens, dans d’autres films, brusquaient les rues de Rome, dans un même élan vital. Et à la suite d’un Jonas remontant le cours du temps, le film va chalouper entre deux époques : celle d’aujourd’hui (plus précisément 2015), qui voit Jonas, grande gueule tourmentée, déambuler à côté de sa vie, et celle où il fut un ado timide et secret, fasciné par son audacieux et gouailleur de copain, Nathan.
Félix Maritaud, formidable jeune homme écorché
Aussi bien construit soit-il, Jonas doit une bonne part de son intensité à ses interprètes. A commencer par Félix Maritaud (120 battements par minute, Un couteau dans le cœur, Sauvage), qui y campe une fois encore un formidable jeune homme écorché. Ses plus jeunes partenaires (Nicolas Bauwens, Tommy-Lee Baïk et Ilian Bergala), tout comme Aure Atika, font eux aussi montre d’une grande sensibilité dans leur jeu.
Pour accompagner musicalement ce premier film, qui mêle avec grâce récit d’apprentissage, histoire d’amour et thriller psychologique, Christophe Charrier a fait appel à Alex Beaupain – qui a composé la musique originale de plusieurs des longs-métrages de Christophe Honoré. A ce titre, mais aussi en tant que meilleur téléfilm et meilleure réalisation pour Christophe Charrier, Jonas s’est vu triplement primer, lors du dernier Festival de la fiction TV de La Rochelle.
Jonas, téléfilm de Christophe Charrier. Avec Félix Maritaud, Nicolas Bauwens, Tommy-Lee Baïk, Aure Atika, Ilian Bergala, Marie Denarnaud (Fr., 2018, 85 min). www.arte.tv