Le Conseil présidentiel pour l’Afrique, outil controversé du « soft power » d’Emmanuel Macron
Le Conseil présidentiel pour l’Afrique, outil controversé du « soft power » d’Emmanuel Macron
Par Laurence Caramel
Le chef de l’Etat s’appuie sur ce cercle hétéroclite pour capter les attentes des nouvelles élites économiques et culturelles du continent.
Les présidents français, Emmanuel Macron, et sénégalais, Macky Sall, à Saint-Louis, le 3 février 2018. / LUDOVIC MARIN / AFP
Quinze mois après sa création, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), censé incarner le renouveau de la relation entre la France et le continent, reste un objet difficile à cerner. Est-ce pour parer au risque de voir cette structure née de la volonté d’Emmanuel Macron perçue comme une coquille vide ? Cet été, elle a été dotée d’un budget de 100 000 euros, d’un secrétaire général, et un communicant a même été recruté pour rendre son action plus lisible.
Vendredi 30 novembre, dans les locaux de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), qui l’héberge, le CPA fera son premier bilan. Un an après le discours prononcé par le chef de l’Etat à l’université de Ouagadougou pour livrer sa vision du continent, du rôle de la France et fixer quelques grands engagements. Le conseil y avait imprimé sa patte et il ne manquera certainement pas de le rappeler alors que l’Elysée vient d’annoncer la restitution au Bénin de 26 œuvres d’art accaparées pendant la période coloniale. Le retour du patrimoine spolié à l’Afrique faisait partie des promesses les plus fortes du discours présidentiel.
« Ce sera cash, il n’y aura pas de langue de bois », promet Jules-Armand Aniambossou, le coordonnateur de ce cercle bénévole ramené à neuf membres après le départ de l’avocat français Yves-Justice Djimi « pour des raisons personnelles » et de la Sud-Africaine Nomaza Nongqunga Coupez, qui a rejoint l’équipe chargée de préparer la saison culturelle « Afrique 2020 ».
L’ancien condisciple du chef de l’Etat à l’Ecole nationale d’administration (ENA) sait que leur structure atypique est attendue au tournant. Entre ceux qui se plaignent de ne pas comprendre à quoi elle sert et ceux qu’elle dérange en marchant mine de rien sur leurs plates-bandes, la voie est étroite. Les six pages publiées en guise de rapport d’activité et pompeusement intitulées « Un an d’actions : bilan et perspectives » n’ont fait qu’alimenter la perplexité.
« Sans filtre »
L’ancien ambassadeur du Bénin en France est le seul membre, avec la Franco-Tchadienne Vanessa Moungar (qui travaille à la Banque africaine de développement à Abidjan), à ne pas évoluer dans le secteur privé. Après une brève mobilité au sein du groupe immobilier Duval, le haut fonctionnaire, souvent habillé d’un strict costume trois pièces, est aujourd’hui chargé de mission pour la francophonie auprès de la présidence de la République et du ministère des affaires étrangères. « Ce n’est pas parce que j’ai fait l’ENA que je ne connais pas l’Afrique et sa jeunesse », rétorque, piqué au vif, le Franco-Béninois lorsqu’on l’interroge sur ses liens avec ces publics cibles du discours de Ouagadougou – jeunes, étudiants, start-upeurs, artistes… –, que le CPA a pour mandat de sonder afin de faire remonter « sans filtre » vers le chef de l’Etat leurs perceptions et leurs attentes.
Pour souder ce groupe hétéroclite où se croisent un ancien footballeur franco-béninois, une spécialiste kényane de la santé, une cadre d’une multinationale de gestion de l’eau et des déchets, une militante de la reforestation en Tunisie, un spécialiste franco-malien de l’innovation… et remplir sa mission de capteur des humeurs du continent hors des circuits institutionnels, une méthode a été adoptée. Outre des réunions, au début hebdomadaires et qui se sont aujourd’hui espacées, tous les membres du CPA doivent rédiger une fiche à l’issue de chaque voyage, la partager avec les autres conseillers et la transmettre à l’Elysée. Les points abordés sont toujours les mêmes. 1 : quelle est la perception de la France, et qu’est-ce qui a changé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron ? 2 : quelles sont les attentes ? 3 : quels sont les projets financés par la France et leur état d’avancement ? Enfin, 4 : faire des recommandations.
Une soixantaine de fiches auraient été écrites et une dizaine seraient remontées directement au chef de l’Etat. « Les propos sont bruts de décoffrage et expriment une parole plus libre que celle des ambassadeurs. Ils complètent les notes diplomatiques. Le PR [président de la République] les lit et les commente », assure -t-on dans l’entourage de celui-ci.
Bousculer les chancelleries
Depuis sa formation, le groupe a rencontré deux fois M. Macron. Des échanges ont également eu lieu lors des déplacements présidentiels en Afrique, auxquels les membres du CPA contribuent en identifiant des interlocuteurs au sein de la société civile. Jules-Armand Aniambossou et la Franco-Tunisienne Sarah Toumi se rendront en éclaireurs au Tchad avant le voyage officiel prévu à la fin de l’année. La présidence compte aussi sur le conseil pour avancer discrètement sur des terrains plus sensibles. Alors qu’un rapprochement est engagé avec le Rwanda, l’ancien défenseur du Racing Club de Lens Jean-Marc Adjovi-Boco a été chargé d’explorer une possible coopération dans le domaine sportif.
L’entrée du sport dans le champ de la coopération pour le développement constitue un des apports les plus visibles du CPA. « Je milite depuis de nombreuses années pour que le sport devienne un levier de développement et un outil de mobilisation de la jeunesse. C’est un vivier de création d’emplois », rappelle l’ancien joueur – qui a fondé au Sénégal l’association Diambars, un centre de formation pour les jeunes footballeurs – en se réjouissant que l’AFD ait repris le thème. Rémy Rioux, le directeur de la banque de développement, a même installé la silhouette en carton d’un joueur de la NBA dans son bureau.
En sillonnant le continent, les membres du conseil présidentiel ont aussi pour mission de s’assurer que les engagements du discours de Ouagadougou sont mis en œuvre. Quitte à bousculer les chancelleries et autres bastions de la représentation française. « On leur ouvre les yeux. Ils sont très contents », veut croire, sans l’ombre d’un doute, Jules-Armand Aniambossou, convaincu que leur rôle est de combler les « trous dans la raquette » d’un dispositif français dont les mailles n’ont pas la bonne taille pour saisir les bouleversements en cours sur le continent. « Il faut adapter notre logiciel. Nous ne pouvons pas dire que l’Afrique est au cœur de la politique étrangère de la France et continuer à la regarder comme la terre de tous les maux. »
Prudents, les ambassadeurs soignent leur accueil. Rien ne serait pire que de se retrouver épinglé dans une de ces petites fiches prisées par l’Elysée. Ils se savent notamment attendus sur la délivrance des visas de circulation de longue durée promise aux diplômés de l’enseignement supérieur qui ont étudié en France.
Têtes chercheuses
A Paris, le CPA tente aussi de se glisser dans le milieu fermé des affaires franco-africaines. Certains ont déjà leurs entrées dans le sérail, comme Diane Binder, directrice adjointe du développement international de Suez. La jeune femme concède que les entreprises n’ont pas attendu le conseil présidentiel pour passer à l’offensive sur le marché de la ville durable, qui a été choisi comme thème du prochain sommet Afrique-France de 2020, mais elle espère tout de même qu’elle réussira à « promouvoir une approche qui parte davantage des besoins africains ».
De leur côté, les organisations patronales n’ont pas tardé à considérer la petite équipe comme un relais supplémentaire pour être entendues par le gouvernement. « Nous l’informons de ce que nous faisons et nous avons des contacts fréquents avec certains de ses membres », explique-t-on au Medef international. Le président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), Etienne Giros, entretient également « des relations régulières mais informelles » avec le groupe et ne manque pas de lui envoyer ses « notes de position ».
Sous couvert d’anonymat, d’autres ténors ne cachent pas qu’ils n’ont toujours pas compris sur quoi travaillent ces protégés du président de la République, dont la majorité sont pour eux des inconnus. « Au moins, ils ne nous demandent pas d’argent », lâche l’un deux, soulagé, en rappelant l’exemple de la fondation AfricaFrance lancée en 2015 par le banquier Lionel Zinsou et aujourd’hui liquidée. L’initiative devait contribuer au décollage du continent en rapprochant les acteurs publics et privés.
Pour 2019, l’Elysée a demandé à ses têtes chercheuses de s’atteler à deux gros sujets : la santé et l’agriculture. « Beaucoup de choses existent déjà, mais il s’agit d’innover et de voir comment la France peut être plus présente et permettre de faire bouger les lignes », explique-t-on à l’Elysée. La chercheuse en immunologie Yvonne Mburu se chargera logiquement du premier sujet. Pour le second, Jules-Armand Aniambossou cherche toujours « la perle rare » qui pourrait venir rejoindre le groupe.
Entre le rapprochement avec les diasporas et ses déplacements sur le continent, le coordonnateur confie ne plus savoir parfois « par où commencer ». Mais il ne boude pas son plaisir de contribuer à un certain « soft power » de la France. En toute indépendance, bien sûr. « Nous ne sommes pas les porte-parole d’Emmanuel Macron. Nous avons gardé notre capacité d’indignation et d’interpellation », répète-t-il pour mieux dissiper les doutes.