VIH : « Beaucoup de séropositifs vivent dans l’isolement affectif le plus total »
VIH : « Beaucoup de séropositifs vivent dans l’isolement affectif le plus total »
Par Marie Slavicek
Si le VIH n’est plus aussi tabou que dans les années 1990, dire sa séropositivité n’est toujours pas facile. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, « Le Monde » a recueilli les témoignages de personnes porteuses du virus.
Depuis 2008, on sait qu’une personne séropositive sous traitement antirétroviral efficace ne transmet plus le virus. / AFP
Il y a ceux qui sont partis en courant. Ceux qui l’ont violemment mis à la porte. Ceux qui ont subitement arrêté de lui répondre au téléphone. Il y a aussi ceux pour qui ça n’a rien changé. « J’ai vécu toutes les situations possibles, résume Patrice, qui a souhaité garder l’anonymat. Mais j’ai quand même pris un certain nombre de râteaux à cause de ça. »
Ça ? Le VIH. Patrice, 49 ans, est séropositif depuis presque vingt-deux ans. Cet ancien communicant en reconversion fait partie de la « génération sida » qui pensait ne pas dépasser la trentaine. « Quand le couperet est tombé, en mars 1997, j’ai décidé de continuer à avoir une vie sexuelle et affective. Par honnêteté, je le disais tout de suite à mes partenaires potentiels, ce qui m’a valu pas mal de refus… »
Comme Patrice, 152 000 personnes vivent avec le VIH en France, selon les chiffres de l’association Sida info service. Aujourd’hui, si le VIH n’est plus aussi tabou que dans les années 1990, dire sa séropositivité n’est toujours pas facile. A plus forte raison dans le cadre de relations intimes.
« Beaucoup de séropos vivent dans l’isolement affectif le plus total. Il y a une vraie solitude sentimentale et sexuelle liée au virus », explique Fred Colby, 37 ans, séropositif depuis 2009 et volontaire chez Aides, association de lutte contre le VIH et les hépatites virales. Quand on évoque le VIH, on pense à « infection sexuellement transmissible ». Le virus a toujours été associé à la sexualité et au jugement que l’on peut porter dessus. En 2018, il reste encore parfois synonyme d’opprobre.
« C’était comme si j’avais la peste »
Giovanna Rincon a découvert sa séropositivité à 20 ans. Aujourd’hui âgée de 49 ans, elle est présidente de l’association de défense des personnes trans Acceptess-T, et vice-présidente du CoreVIH, le Comité de coordination régionale de la lutte contre les IST (infections sexuellement transmissibles) et le VIH. Elle se souvient :
« Le plus grand choc pour moi n’a pas été d’être diagnostiquée d’une maladie qui était à l’époque mortelle. Le plus dur, ç’a été le sentiment de rejet. C’était comme si j’avais la peste. »
Fred Colby, lui, a longtemps eu l’impression d’être « un virus ambulant ». « J’ai été dépisté il y a neuf ans. A l’époque, j’avais une sexualité, disons, généreuse. Je prenais pas mal de risques », explique-t-il. Au sentiment de culpabilité s’est ajoutée la peur de contaminer ses amants. « J’étais hyper flippé tout le temps », dit-il.
Certains décident de mettre leur vie amoureuse entre parenthèses. C’est le cas de Florence Thune, 51 ans, directrice générale de l’association Sidaction, et séropositive depuis 1997 :
« Pendant dix ans, je n’ai eu aucune relation sexuelle. J’avais complètement intériorisé la sérophobie : c’était trop compliqué, non pas de l’annoncer, mais d’imaginer les réactions. Je me disais que les hommes allaient forcément prendre leurs jambes à leur cou. J’ai voulu m’éviter ça. »
Dans le cas de Giovanna Rincon, c’est son médecin de l’époque qui lui avait conseillé de ne plus avoir de rapports sexuels :
« Il m’a dit que je mettrais trop mes partenaires en danger. C’était comme si j’étais devenue une bombe à retardement. »
« Indétectable = intransmissible »
Dans ces parcours sentimentaux souvent compliqués, faits de « grandes déceptions », de « baffes », de « cœurs brisés » et de « périodes de bad total », une formule a changé la donne :
U = U, pour « Undetectable = Untransmittable » (indétectable = intransmissible, en français). Une personne séropositive sous traitement antirétroviral efficace obtient une charge virale dite indétectable, tant elle est faible dans le sang. Concrètement, elle ne transmet plus le virus. Une révolution.
« Il y a eu un avant et un après », confirme Patrice, le communicant en reconversion, dont la charge virale est indétectable depuis plus de douze ans :
« Avant, on se disait qu’on risquait de contaminer l’autre, on vivait avec cette angoisse. Aujourd’hui, on se sent soulagé d’un poids. C’est hyper important pour l’estime de soi. »
Pour Florence Thune, U = U a été la formule qui lui a permis de renouer avec une vie sexuelle et amoureuse : « Ça m’a débloquée. Mais le fait de ne plus être contaminante n’a pas effacé la peur de l’annonce, ça reste une prise de risque émotionnelle », nuance-t-elle :
« Je suis passée par un site de rencontres. Je me disais que ce serait plus facile de le dire à l’écrit. »
Elle est aujourd’hui en couple sérodifférent depuis dix ans.
Un sentiment de double peine
Du reste, si la formule U = U commence timidement à faire son chemin, notamment auprès des gays, elle reste encore largement méconnue de l’ensemble de la population. « C’est une information super importante mais elle est encore confidentielle », regrette Patrice, à qui il arrive souvent de faire de la pédagogie, et qui déplore le « silence des pouvoirs publics » à ce sujet. « Chez les gays, ce discours est audible depuis deux ou trois ans, pas plus », déplore-t-il.
Si le rapport Hirschel, du nom du médecin suisse Bernard Hirschel, également appelé « avis Suisse », a montré, dès 2008, qu’un séropositif sous traitement ne transmet plus le VIH, en France, les experts médicaux ont mis plus de temps à appréhender cette donnée. Contrairement au milieu associatif, qui s’en est très vite saisi pour faire des campagnes d’information autour du traitement comme prévention ou TASP (« treatment as prevention » en anglais).
« Le VIH véhicule beaucoup de fantasmes. Les peurs liées au virus, parfois totalement irrationnelles, sont ancrées très profondément », soupire Florence Thune. C’est la raison pour laquelle la directrice générale de Sidaction milite pour une « banalisation du VIH au sens positif du terme : plus on témoignera, plus les gens se diront qu’il est possible de vivre presque normalement avec le VIH, et plus ils se feront dépister et soigner. C’est comme ça qu’on stoppera les contaminations. »
Pour Fred Colby, « le VIH n’est plus un problème médical mais sociétal : le vrai souci, c’est ce que vous renvoyez aux gens ». Sur les applis de rencontres, il n’est pas rare qu’on lui demande de but en blanc s’il est « clean » – comprendre séropositif ou non – et qu’on le bloque pour cette raison.
« C’est une façon détestable de demander le statut sérologique de quelqu’un. C’est blessant et inutile. Etre confronté à tant d’ignorance est parfois fatigant, c’est la double peine. »
Si la recherche scientifique avance, et que les préjugés associés au VIH tendent à diminuer, plusieurs militants insistent sur l’importance du « meilleur des médicaments : l’amour ». Un homme a un jour dit à Giovanna Rincon : « Tu dois continuer à aimer et à te laisser aimer. »
« A cette époque, il n’existait aucun médicament contre le VIH. Pour moi, ces mots ont été un vaccin. »