Des « gilets jaunes » au rond-point des Vaches, près de Rouen, en Normandie, dimanche 2 décembre 2018. / Léa Sanchez pour Le Monde

Raymonde, 87 ans, s’accroche à son parapluie comme à une canne, déterminée à « ne rien lâcher ». Depuis le 17 novembre, date du début du mouvement des « gilets jaunes », elle se rend tous les jours au rond-point des Vaches, un point d’accès stratégique à Rouen, la capitale normande. « J’habite à 500 mètres d’ici, donc je viens deux heures le matin et deux heures l’après-midi », précise cette habitante de Saint-Etienne-du-Rouvray, emmitouflée dans un épais manteau sur lequel brille son gilet fluorescent.

Avec sa sœur et son neveu, elle a rejoint les manifestants qui filtrent les voitures, dimanche 2 décembre. Ils sont une petite trentaine, moins que les jours précédents. « Mais bon, il est 8 heures et il pleut », note Yves, un maçon de 55 ans qui travaille depuis l’âge de 16 ans. Pour lui, les violences qui ont eu samedi lieu à Paris ne vont pas de dissuader les « gilets jaunes » de se rassembler.

« Je suis contre la violence, mais il ne faut pas oublier de dire que c’est Macron et son gouvernement qui la créent, la violence », pointe le quinquagénaire. Il évoque « celle des plans sociaux », celle des familles « qui doivent vivre en se serrant la ceinture par crainte du découvert » et celle des jeunes « qui ne trouvent pas de travail ».

Des statues de vaches incendiées

A Saint-Etienne-du-Rouvray, ville ouvrière où le père Hamel a été tué en 2016 dans une attaque terroriste, nombre de « gilets jaunes » dénoncent l’injustice sociale et le manque de réponses de l’exécutif. Bertrand, 33 ans, soupire nerveusement en évoquant la réaction du chef de l’Etat qui, depuis le sommet du G20 en Argentine, a condamné des actions n’ayant « rien à voir avec l’expression pacifique d’une colère légitime ».

« Macron ? Il n’a donné aucune réponse, il fait genre il ne se passe rien, ça nourrit l’exaspération et les violences. En plus, sans ça, est-ce que les choses peuvent vraiment changer ? », s’interroge ce manager du secteur cosmétique, qui participe pour la première fois à un mouvement de contestation.

Au cours des dernières semaines, des statues de vaches qui ornaient le bien nommé rond-point ont été incendiées. Selon le site d’information local Actu.fr, dans la nuit de samedi à dimanche, des heurts ont aussi éclaté avec la police dans le secteur. Un magasin a été pillé, la caravane d’un vacancier brûlée, et trois hommes ont été interpellés. Une carcasse de remorque gêne d’ailleurs les automobilistes qui arrivent de Rouen.

Bertrand, comme les autres « lève-tôt » du rond-point qui n’ont pas assisté aux incidents de la nuit, critique « les casseurs qui nuisent à l’image des “gilets jaunes” ». Aux automobilistes qu’il laisse passer peu à peu, il lance : « C’est le jour du Seigneur, hein, on n’est pas pressés ? » Plusieurs routiers klaxonnent en guise d’encouragement. Un homme tend un billet de 10 euros, en soutien au mouvement ; d’autres ont préféré apporter de la nourriture. Seuls quelques automobilistes « forcent » le blocage en traversant le rond-point.

Des « gilets jaunes » filtrent les voitures au rond-point des Vaches, prés de Rouen, en Normandie. / Léa Sanchez pour Le Monde

« A force d’être gazés, les gens en ont marre »

« Globalement tout se passe bien, c’est très différent de Paris, insiste Jean-Luc. Il faut aussi parler de ce qui se passe hors de la capitale. » Pour ce retraité de 72 ans, ancien délégué syndical, l’annonce de l’augmentation des prix du carburant a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Mobilisé lui aussi depuis le début du mouvement, il vient de 5 heures à 19 h 30, « tous les jours ». Et viendra « jusqu’à ce que ça bouge ».

« Plus le gouvernement va attendre, plus ça va empirer, pronostique-t-il. A force d’être gazés, les gens en ont marre. » Les annonces qui pourraient le décider à rentrer chez lui ? Déjà, Jean-Luc souhaiterait « que les salaires et les retraites rattrapent l’augmentation du coût de la vie ». Il voudrait aussi une baisse « du prix des services de base dont les Français ont besoin, comme l’essence, le chauffage et l’électricité ». Mais comme sur chaque rond-point de France où des « gilets jaunes » sont mobilisés, les attentes sont multiples. Aux côtés du retraité, un homme de 21 ans, qui travaille dans le commerce de cigarettes électroniques. Lui, avant tout, voudrait que la France reparte à zéro, avec une nouvelle Constitution et « sans le président des très riches ».

Raymonde, en tant que doyenne du rassemblement, approuve l’idée d’une destitution du président. « Il faut aussi que tous les ministres partent. » Pour l’octogénaire, les casseurs qui ont attaqué l’Arc de triomphe « ne sont pas des gilets jaunes ». Et de toute façon, « la violence, c’est de la faute à Macron. Les gens sont désespérés. » « C’est la révolution, là ! », lance sa sœur à son bras.