Depuis 2008, les choses étaient simples. Lionel Messi et Cristiano Ronaldo avaient la garde partagée et exclusive du Ballon d’or : 5-5 entre l’Argentin et le Portugais, balle au centre. Mais en 2018, le nouveau monde tape à la porte et des ambitieux s’imaginent brandir cette pièce d’orfèvrerie de 12 kg d’or, lundi 3 décembre dans la soirée, lors de la cérémonie organisée au Grand Palais de Paris.

Si Ronaldo croit encore à ses chances, le Croate Luka Modric et un trio de champions du monde français – Raphaël Varane, Kylian Mbappé et Antoine Griezmann – peuvent bousculer l’ordre établi depuis dix ans.

Pour décrocher l’Oscar du meilleur footballeur 2018, certains n’ont pas hésité à mener campagne, comme à Hollywood, pour convaincre un jury de 190 journalistes issus de 190 pays (les votes sont clos depuis le 10 novembre).

Bien sûr, Luka Modric ne va taper à la porte du juré du Botswana ni Kylian Mbappé inviter au restaurant celui du Honduras. La bataille est d’abord médiatique. L’époque étant autant au faire savoir qu’au savoir-faire, il s’agit, l’automne venu, de rappeler ses états de service de la saison.

« Le débat s’est déplacé vers le champ des opinions, hors du terrain. Le vainqueur sera celui qui aura réussi la meilleure saison… ou la meilleure campagne de pub », déplorait déjà en 2013 le défenseur brésilien, Daniel Alves.

Le contre-exemple Ribéry

Peu accessibles d’habitude, les joueurs se montrent ainsi d’une disponibilité rare lors des semaines avant le vote. Est-ce un hasard si les cinq favoris se sont confiés à France Football ? En 2016, le magazine a repris son « bébé » après l’avoir partagé avec la FIFA pendant six ans. « Un Français doit gagner le Ballon d’or », plaide Antoine Griezmann en couverture le 9 octobre en pensant assez fort à lui-même.

Dès le printemps, le clan Mbappé – qui voit toujours loin – songeait déjà à poser ses premiers jalons. Rien de mieux qu’un long entretien pour affirmer les ambitions du prodige, en amont de la Coupe du monde en Russie. Le choix du média est stratégique : France Football

Tout frais champion du monde, Kylian Mbappé accordera un autre entretien au magazine livrant ses favoris pour le trophée (Neymar, Ronaldo, Modric et Varane). « Pour compléter, je pense que je me mettrais aussi », glisse-t-il. C’est ce qui s’appelle faire passer un message.

A défaut de la couverture de Time, comme son partenaire en équipe de France, Griezmann a enchaîné les entretiens avec les médias internationaux. « Je n’ai pas peur de leur dire. Je rêve du Ballon d’or », confie-t-il au site ESPN le 30 octobre.

Son abattage médiatique rappelle celui de Franck Ribéry en 2013. A cette époque, un simple coup de fil à son agent Jean-Pierre Bernès suffit à caler un rendez-vous avec le milieu du Bayern Munich. Ribery posera même en couverture de… M le magazine du Monde.

Franck Ribéry avant la cérémonie du Ballon d’or en 2013. / FABRICE COFFRINI / AFP

Dès qu’un micro se tend devant eux, ses coéquipiers et ses dirigeants sont aussi invités à dire à quel point le Français mérite d’être sacré. Et quand l’ancien sélectionneur Gérard Houllier ose donner sa préférence à Messi ou Ronaldo, Ribéry le reprend de volée verbalement dans les vestiaires du Parc des Princes après une victoire des Bleus contre l’Australie (6-0).

Malgré ses efforts, Ribery finira en rase campagne (3e derrière Ronaldo vainqueur devant Messi) et avec un goût d’amertume tenace en bouche.

Antoine Griezmann en a-t-il un peu trop fait également ? « Les ignorants, ça ose tout. Quand j’entends parler ce garçon, je pense très fort aux Totti, Buffon, Maldini, Xavi, Raul ou Casillas ; des joueurs qui ont tout gagné, qui ont une multitude de trophées chez eux, et aucun n’a de Ballon d’or ». La déclaration sort de la bouche de Sergio Ramos, capitaine du Real Madrid reconverti en porte-flingue pour ses coéquipiers Raphaël Varane et Luka Modric.

Le Real faiseur de roi

Celui de Cristiano Ronaldo s’appelle Jorge Mendes. Le superagent du football mondial a assuré le critique après-vente quand son client a été battu par Modric pour le prix du joueur UEFA de la saison.

« Cristiano a marqué 15 buts, portant le Real Madrid à bout de bras jusqu’à la conquête de la Ligue des champions encore une fois. C’est simplement ridicule », s’était-il plaint auprès du quotidien portugais Record.

En 2008 déjà, Mendes venait régulièrement aux nouvelles auprès du journaliste chargé de suivre Manchester United (où évoluait alors l’attaquant) pour France Football.

Pour ses quatre campagnes victorieuses suivantes (2013, 2014, 2016, 2017), le Portugais (aujourd’hui à la Juventus Turin) a pu compter sur le soutien d’une institution aussi puissante que le Real Madrid.

« Peut-être que la meilleure manière de faire campagne est de laisser les autres parler de soi. Ça, le Real le maîtrise parfaitement. Du temps de CR7 [le surnom de Ronaldo], avant chaque édition, le Real se mettait en ordre de bataille pour défendre la candidature du Portugais », observe Pascal Ferré, bien placé pour l’observer en tant que rédacteur en chef de France Football.

Tant pis pour Raphaël Varane, jamais entré en campagne malgré une Ligue des champions et une Coupe du monde ajoutées sur son CV. Le Real a décidé de rouler pour Luka Modric. Fort de ce soutien, le milieu de terrain croate joue la modestie et ne revendique rien.

En témoigne son entretien dans France Football (toujours) : « L’important pour moi est d’être sur le terrain comme je le suis depuis des mois. Cette année 2018 a été sans aucun doute la meilleure de ma carrière. […] Vous n’allez pas me faire dire : “C’est moi qui dois le gagner.” »

Une stratégie peut-être payante, la radio espagnole Onda Cerro donnait le finaliste de la Coupe du monde vainqueur devant Ronaldo et Antoine Griezmann. Comme quoi une victoire en Ligue Europa, un titre de champion du monde et des kilomètres d’entretiens peuvent ne pas toujours suffire.

Ballon d’or : quelques contenus à lire avant la cérémonie

Le portrait du Croate, Luka Modric, fait au terme de la Coupe du monde et de la défaite de la Croatie, en finale.

Le récit de la nouvelle stature acquise par Kylian Mbappé en équipe de France.

Un reportage à Madère, sur les terres d’un Ronaldo, en plein cœur de l’affaire Mayorga.

Un zoom sur le rôle d’Antoine Griezmann au sein des Bleus.

Les souhaits formulés par Michel Platini, ex-patron de l’UEFA, trois fois le Ballon d’or dans sa carrière de joueur (1983, 1984 et 1985).

Le portrait de la Brésilienne Marta Vieira da Silva, l’une des favorites pour l’attribution du Ballon d’or féminin.

Une chronique de Jérôme Latta, des Cahiers du football, qui explique pourquoi il n’y aura « pas de Ballon d’or pour les Bleus » et pourquoi « c’est tant mieux ».