Marcus Miller et Selah Sue, un duo tout en fraîcheur
Marcus Miller et Selah Sue, un duo tout en fraîcheur
Par Francis Marmande
Après le Monte-Carlo Jazz Festival, l’orchestrateur-bassiste américain et la chanteuse belge de « pop soul » sont au Palais des Sports de Paris, lundi 3 décembre.
Luisa Miller, opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, sera présenté à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo le 15 décembre. Verdi est un des noms qui ornent son dôme. Dôme sous lequel Marcus Miller, musicien « funk avec immense connaissance du jazz » (dit-il de lui-même), invite Selah Sue, jeune star de la « pop soul », le 2 décembre : final apothéotique de la 13e édition du Monte-Carlo Jazz Festival. Ils sont à Paris le 3.
Marcus Miller est né à Brooklyn en 1959. Selah Sue à Louvain (Belgique) en 1989. Rapport entre Luisa Miller et Marcus Miller ? On verra plus tard. À Garnier, Marcus Miller se présente avec Alex Bailey (batterie), Caleb McCampbell (claviers), Russell Gunn (trompette), Alex Han (sax alto). Marcus joue ses guitares basses avec un slap qu’on ne connaît qu’à lui. Le temps d’une pièce, il prend sa clarinette basse.
Marcus et Miles
À la clarinette basse, le son de Marcus Miller ne vise pas la rondeur d’un Harry Carney, un des historiques de Duke Ellington. Il ignore cette chaleur boisée aux enjambées sidérantes que se permet Eric Dolphy. Dolphy est à la clarinette basse ce que Miller sera à la guitare basse : l’inventeur. Miller s’en tient à un timbre strict, sans effets.
Bientôt 60 ans, Miller a la même juvénilité, la même aptitude à porter des jeans slim, la même silhouette dansante qu’à 25 ans, lorsque Miles Davis lui demande de « produire » un de ses albums. Ce sera Tutu (1986), en hommage à Desmond Tutu. Succès planétaire. Comment se débrouillent-ils, les spécialistes de la spécialité, devant ce mystère ? Les uns veulent que Miles ne grave que des navets en sa dernière période (1981-1991). D’autres soutiennent des thèses d’anthropologie où, calculette en main, ils estiment, tels des startuppers, des patrons ou des DRH, que Miles « ne joue pas beaucoup ».
Plus sérieusement, le très regretté Roy Hargrove, mort le 2 novembre, place Doo Bop, le mal-aimé chant du cygne de Miles, au-dessus de tout. Tutu est un chef d’œuvre. Trente ans et pas mal de haute-couture plus tard (Al Jarreau, Nougaro, Eric Clapton), Marcus Miller a gardé le même tonus, la même créativité, et cette capacité en scène de faire jouer ses partenaires au meilleur d’eux-mêmes. Toujours funk, soul, trap, hip hop, « avec un immense amour du jazz ».
Qui est capable d’enchaîner (You Make Me Feel Like) A Natural Woman, chanson d’Aretha Franklin dont il a contribué à relancer la carrière (en 1982), à l’hommage inattendu à Curtis Mayfield (Pusherman) ? Agencement parfait : trois chansons calmes, Untamed, Sublimity (« Je sais que le mot n’existe pas, mais pour un musicien, c’est différent… »), Trip Trap, du récent album Laid Black. Selah Sue fait son entrée.
Ouverture : Que sera sera, la chanson poussée par Doris Day dans L’Homme qui en savait trop (Hitchcock, version de 1956). C’est tellement étrange une chanson qui joue un rôle – un rôle clef – dans un film… Voix d’enfant et emballement r’n’b, Selah Sue offre une fraîcheur délicieuse à la chanson fataliste de Livingston et Evans. Elle enchaîne sur le Don’t Explain de Billie Holiday, à peu près aussi terrible que Ne me quitte pas. Contrepoint très touchant de Russell Gunn (trompette avec sourdine), dont le leader, attentif à tout, vient ramasser le micro tout en slappant.
Avant le rappel, version très décalée, façon « drone-metal », de Tutu. Retard très funky de l’accord final. Marcus Miller, mélodiste, coloriste, reste un formidable orchestrateur. Sachant animer le public dans le tempo. Au rappel, Selah Sue revient, sur des fondamentaux pop : l’inusable Ain’t No Sunshine de Bill Withers, repris par un peu tout le monde, dont Melody Gardot et Cœur de Pirate. Et Come Together pour la route (très joli duo d’opéra pour voix et guitare basse). Ovation.
Luisa Miller et Marcus Miller
Ce n’est que le point d’orgue d’une après-midi roborative. Jean-René Palacio, maître de cérémonie du Monte-Carlo Jazz Festival, a préalablement inscrit le trio d’Eric Légnini (formidable pianiste), avec Thomas Bramerie (contrebasse) et Rocky Gresset (guitare). Répugnant toujours à faire les choses à moitié, Palacio a ajouté au débotté un lever de rideau de choix, le band qu’il a engagé après l’avoi découvert par YouTube (à quelque chose malheur est bon) : le James Williams Jazz. Ils vient de La Nouvelle Orléans, assure, rassure, dans l’esprit et le répertoire.
Et Mingus ? Charles Mingus le leader impétueux ? Le compositeur dont on n’a pas encore fait le tour ? Mingus, on y a songé en écoutant l’hymne How Great Thou Art interprété très droit à la clarinette basse par Marcus Miller, à la mémoire de son père. À 20 ans, Mingus fut le contrebassiste de l’orchestre d’Ellington (avec Harry Carney). Plus tard, l’alter ego d’Eric Dolphy.
Selah Sue est enceinte de six mois. Elle voyage avec le père et leur premier enfant. Et celui qu’ils attendent (il a dû ouïr le concert de très près)… Garçon ou fille ? Garçon. Le prénom est-il choisi ? Oui… Mingus. Comme pour Luisa Miller et Marcus Miller, le signifiant ne connaît pas le hasard.
Marcus Miller & Selah Sue, le 3 décembre à 20 heures, Palais des Sports, Paris-15e.