Papier à cigarettes « Job », 1896 ‒ lithographie en couleur, 66,7 x 46,4 cm ‒ Fondation Mucha, Prague. / MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

Alphonse Mucha (1860-1939) est l’un des imagiers les plus célèbres de son temps. Plusieurs de ses affiches sont devenues des icônes et, pour une fois, le terme est juste puisque l’artiste se réclamait de l’art byzantin. Son exposition au musée du Luxembourg à Paris a donc le succès attendu. Elle dispose une centaine de pièces dans une scénographie à arcades genre basilique : ses affiches des plus connues au moins illustres, ses peintures à ambition mystico-humaniste et son cycle L’Epopée slave qui l’a occupé plus de vingt ans, jusqu’à son achèvement en 1928. Cet ensemble monumental de scènes historiques et religieuses difficilement déplaçable est présenté sous forme de film. S’ajoutent des photographies de lui-même, de ses amis et de ses modèles dans l’atelier.

Exposition : le style Mucha s’affiche au Musée du Luxembourg

Mais la première décennie de sa carrière est absente. Mucha, fils d’un huissier morave, se fait remarquer pour ses dessins dès la fin des années 1870. Il travaille chez un décorateur de théâtre à Vienne de 1879 à 1881 et regarde alors de près les tableaux d’histoire de Hans Makart (1840-1884), dont il s’est souvenu dans son Epopée slave. A partir de 1882, son savoir faire est assez connu pour qu’il vive de portraits et de commandes décoratives dans des châteaux.

Il ne vient à Paris qu’en 1887, élève à l’Académie Julian puis à l’Académie Colarossi, où enseignent des gloires académiques, dont Raphaël Collin (1850-1916). Or ce dernier préfigure dans plusieurs de ses œuvres le style de Mucha. De cela, les visiteurs du Luxembourg ne sauront rien. La première œuvre qu’ils découvrent est l’affiche pour Sarah Bernhardt dans le rôle de Gismonda, dessinée en décembre 1894, parue le 1er janvier 1895 et aussitôt célèbre, comme si Mucha était né ce jour-là.

Lignes sinueuses

Si ces éléments de biographie et de contexte ont été omis afin de le faire passer pour un génie qui aurait tout trouvé en lui-même, on doit rappeler que procéder ainsi n’est pas d’une grande rigueur. Il ne l’est pas plus de ne rien montrer de l’Art Nouveau, qui commence vers 1890 et dont Beardsley, Van Rysselberghe, les Britanniques du mouvement Arts & Crafts, les Catalans – dont Gaudi – et bien d’autres (Horta, Guimard etc.) sont les inventeurs. Il aurait fallu quelques dessins d’architecture de Bruxelles ou Barcelone ou quelques gravures de Beardsley pour indiquer qu’un mouvement international, nommé Art Nouveau en France, se diffuse depuis une demi-douzaine d’années en Europe quand Mucha s’y inscrit à son tour. Avec dextérité, il en reprend à son compte les lignes sinueuses, la prolifération des motifs végétaux et floraux, les plis et les chevelures en longues boucles qui sont, en 1894, déjà des figures de style répandues.

Mucha a une griffe : son style : une jeune femme un peu déshabillée mais pas trop, la ligne sinueuse et l’abondance ornementale

Il les applique à la principale vedette théâtrale du moment, Sarah Bernhardt, qui comprend combien il est avantageux pour elle de devenir l’égérie d’un courant moderne et déjà influent. En 1894, elle a 50 ans et des rivales qui ont la moitié de son âge. Les affiches de Mucha la rajeunissent : parce qu’elle y a l’air d’une jeune fille et parce que leur style est jeune en lui-même. En échange, la gloire mûre du théâtre français promeut son affichiste au rang de nouvelle gloire parisienne. Leur collaboration est l’une des plus précoces liaisons de la publicité et de l’art dans les sociétés modernes à la fin du XIX° siècle : un deal bien exécuté.

Sur ce point, Mucha est intéressant : comme précurseur de l’industrie de l’image telle qu’elle se développe au XXsiècle. Il a une griffe : son style, qui se reconnaît d’autant plus vite qu’il se fonde sur des principes visuels simples : une jeune femme un peu déshabillée mais pas trop, la ligne sinueuse et l’abondance ornementale.

A partir de 1895, il l’applique à tous produits et clients : la compagnie PLM, des maisons de champagne, le papier à cigarette JOB, des parfums, de gentilles allégories des arts en lithographie, les affiches et menus des pavillons d’Autriche et de Bosnie de l’Exposition Universelle de 1900. Il publie des modèles de motifs décoratifs afin de faciliter la diffusion de sa griffe. Il dessine des bijoux et produit un savon qui porte son nom, le Savon Mucha Violette. Il fait du business.

Concorde et sagesse

Et il l’enseigne aux Etats-Unis, où il est introduit par Adèle de Rothschild. A partir de 1904, il séjourne souvent à New York, Chicago et Philadelphie où il donne des cours d’ornement, peint des portraits et trouve un milliardaire pour financer L’Epopée slave. Celui-ci, Charles Richard Crane, héritier d’une fortune faite dans la mécanique, se veut homme politique : il appuie les revendications nationales en Europe centrale, est ambassadeur en Chine, finance la campagne du président Woodrow Wilson et, après 1918, devient le défenseur ardent de l’indépendance des nations arabes – ardent jusqu’à l’antisémitisme. Entre-temps, il permet donc à Mucha de réaliser son cycle slave. Sans doute l’artiste n’a-t-il alors pas clairement conscience des convictions de son mécène. Du moins veut-on le croire.

Dans l’entre-deux-guerres, son style n’opère plus. La publicité a de nouveaux stylistes, qui proscrivent la courbe et les couleurs tendres. Lui se réfugie dans le rôle de grand artiste national tchécoslovaque tout en prônant la concorde et la sagesse entre les peuples. Arrêté par la Gestapo dès son entrée à Prague en mars 1939 en raison de son appartenance ancienne et proclamée à la franc-maçonnerie, il meurt peu après avoir été relâché.

Alphonse Mucha : l’exposition
Durée : 04:09

Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris 6e. Tél. : 01-40-13-62-00. Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, vendredi jusqu’à 22 heures. Entrée de 9 € à 13 €. Jusqu’au 27 janvier 2019.