Du rock, du catch et un tueur en série qui rôde : notre sélection cinéma
Du rock, du catch et un tueur en série qui rôde : notre sélection cinéma
Chaque mercredi dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
« Cassandro the Exotico ! », documentaire français de Marie Losier. / URBAN DISTRIBUTION
LES CHOIX DE LA MATINALE
Au menu cette semaine, l’univers rock de Leningrad au début des années 1980, et un tueur en série qui élimine de célèbres cinéastes iraniens. Et deux documentaires : l’un sur Saul Almendariz, dit Cassandro, figure singulière du catch mexicain, et l’autre, sur une communauté noire de Louisiane marquée par l’assassinat de plusieurs de ses membres.
« Leto » : la grâce du rock
Leto, de Kirill Serebrennikov - bande-annonce exclu
Durée : 01:30
Au moment où sort son dernier long-métrage, Leto, le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, est assigné à résidence depuis plus d’un an, accusé d’avoir participé au détournement de subventions. Dans un tel contexte, la tentation est grande de ne voir dans Leto qu’une sorte de manifeste pour le droit des artistes et contre les intimidations du pouvoir. Le film se maintient heureusement dans un rapport évasif avec ces questions. Il se situe, en effet, au début des années 1980, quand la censure était en train de se relâcher, ouvrant la brêche à un vent « rock » venu de l’Ouest.
Sur la scène du Leningrad Rock Club, les concerts blues-rock de Mike Naumenko et de son groupe Zoopark électrisent des foules de groupies. Viktor, un musicien de 19 ans, approche le chanteur et lui fait entendre ses compositions originales, discrètement satiriques. Mike prend le débutant sous son aile, le lance sur scène et produit son premier album. Entre eux deux s’établit comme une passe d’armes, l’aîné incarnant un rock instrumental s’apprêtant à céder la place aux sonorités synthétiques introduites par son protégé.
La beauté du film se situe dans la bulle de grâce et de détachement qu’habitent ces musiciens, un espace esthétique, hors du monde et de la société, qui coïncide avec leur jeunesse en apesanteur. Leto suit ses héros errant dans leur obsession musicale, une poignée d’érudits « pop » vivant la mélomanie en vase clos, dans un nuage permanent de fumée de cigarette, comme pour s’abriter de la laideur du monde. Mathieu Macheret
« Leto », film russe et français de Kirill Serebrennikov. Avec Roma Zver, Irina Starshenbaum, Teo Yoo (2 h 06).
« Pig » : un « serial killer » de cinéastes iraniens
PIG (Khook) trailer - Daricheh Cinema
Durée : 01:01
On connaît le film iranien coup de poing, à la manière de Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof et Rafi Pitts. Ou encore le drame de société distancié, façon Asghar Farhadi. Voici Pig, « cochon » ou « porc », comme on voudra, septième long-métrage de Mani Haghighi, une comédie gargantuesque aux allures de thriller, qui n’en est pas moins une satire féroce de la censure dans le cinéma iranien.
Pig peut se résumer ainsi : la terreur et la suspicion s’emparent des professionnels du cinéma, à Téhéran, alors qu’un tueur en série abat, l’un après l’autre, de célèbres réalisateurs. Il reste quelques survivants, parmi lesquels le cinéaste Hasan Kasmai, personnage principal du film (Hasan Majuni). Sanctionné par le régime, Hasan ronge son frein en tournant des publicités. Surtout, il voit s’éloigner la femme qu’il aime, actrice populaire qu’il a fait tourner dans ses films précédents (Leila Hatami).
Enfin, notre héros, qui n’a encore jamais été attaqué par l’assassin, finit par s’inquiéter : serait-il à ce point has been ? Dès lors, il choisit de se mettre en danger. Que n’a-t-il pas à gagner en devenant une victime ? Délicieuse mise en abîme des débats qui agitent le cinéma iranien, le film de Mani Haghighi est emblématique d’une nouvelle forme de narration politique. Ici, derrière l’apparente légèreté d’une histoire foldingue et loufoque, la subversion apparaît en filigrane dans le scénario. Clarisse Fabre
« Pig », film iranien de Mani Haghighi. Avec Hasan Majuni, Leila Hatami, Leili Rashidi (1 h 47).
« Cassandro the Exotico ! », diva du catch mexicain
CASSANDRO THE EXOTICO! - Bande annonce officielle (vostfr)
Durée : 01:36
Marie Losier a consacré de nombreux films à des figures du cinéma underground, tel l’artiste transgenre Genesis P-Orridge dans The Ballad of Genesis and Lady Jaye (2011). C’est à un autre type d’artiste des confins qu’elle consacre son nouveau documentaire. Saul Almendariz, de son nom de scène Cassandro, est une figure singulière de Lucha libre, autrement appelé catch mexicain, catégorie luxuriante et opératique du genre.
Ce triple champion du monde de sa catégorie assume en effet crânement son homosexualité et son attirance pour le féminin dans un milieu qui ne s’est jamais défini par son esprit de tolérance. Son surnom, « L’Exotique », vient d’ailleurs tout droit de cette catégorie de catcheurs qui caricaturaient la préciosité féminine des homosexuels en se déguisant en femmes et en luttant sans masque. A contrario, en cognant très dur et en se livrant plus que de raison, Cassandro a donné sa noblesse au genre. D’où la double et inquiétante nature de ce petit gabarit dont l’influx nerveux sur le ring impressionne.
On entrevoit, s’agissant d’un tel personnage évoluant dans un tel milieu, le danger qui guette à tout moment le film : la tentation, justement, de l’exotisme. Si Marie Losier n’est, de fait, aucunement intéressée par les arcanes sociopolitiques du milieu qu’elle filme, du moins parvient-elle à faire, avec une discrète empathie, un beau et sensible portrait de ce personnage hors norme. Jacques Mandelbaum
« Cassandro the Exotico ! », documentaire français de Marie Losier (1 h 13).
« What You Gonna Do When the World’s on Fire ? » : dans la violence endémique du Sud profond
What You Gonna Do When the World's on Fire new clip official (4/4) – Venice Film Festival 2018
Durée : 01:50
L’Italien Roberto Minervini est l’auteur d’une œuvre cinématographique réalisée depuis 2011 dans le sud des Etats-Unis. Ses documentaires témoignent de la violence endémique du Sud profond. Après Le Cœur battant (2014) et The Other Side (2015), c’est à la communauté noire de Louisiane, marquée par le récent assassinat de plusieurs de ses membres, qu’est consacré son nouveau film, tourné dans un noir et blanc léché.
Plusieurs personnages le font vivre. Judy, blonde logorrhéique, haute en couleur, profonde en souffrance, y prend toute la lumière. Ronaldo et Titus, deux frères à la beauté frappante qui courent les rues et que leur mère surveille comme le lait sur le feu. Le « chef » Kevin, de la communauté des Indiens de Mardi gras, qui travaille sans relâche à cette vieille tradition du carnaval de La Nouvelle-Orléans. Un groupe du New Black Panther Party (NBPP), sillonnant les rues pour manifester la réprobation de la communauté devant le meurtre impuni d’Alton Sterling ou le lynchage de Jeremy Jackson et Phillip Carrol.
La représentation de ce groupe dans le film n’en marque pas moins une limite générale de la méthode Minervini. Son écriture documentaire, impressionniste et affective, centrée sur le pouvoir d’attraction des personnages, manque parfois à documenter le réel, au point d’en occulter la complexité. C’est le cas avec le NBPP, rejeton autoproclamé en 1989 du parti originel, et dénoncé depuis lors comme un mouvement raciste. Sans doute, l’histoire du NBPP n’était pas le sujet du film. Il n’appartenait pas moins au documentariste, dès lors qu’il élisait ce mouvement comme un acteur essentiel de son histoire, à tout le moins de le situer idéologiquement. J. M.
« What You Gonna Do When the World’s on Fire ? », documentaire américain de Roberto Minervini (2 h 03).