Titoune devant le chapiteau du cirque Trottola. / MARIUN

C’est du vif-argent, cette femme-là. Elle parle comme elle s’envole : ça fuse, ça part en vrille à une vitesse sidérante et ça retombe sur ses pattes, impeccable. C’est Titoune, à la tête du Cirque Trottola avec son partenaire, ­Bonaventure Gacon. 43 kilos tout mouillés, les cheveux en pétard, un lutin en costume de Charlot. Une légende, dans le milieu du cirque.

La voilà dans sa caravane, avant la représentation de Campana, à raconter sa vie, une vie de cirque. Eperdument vouée à cet art qu’elle aime férocement. Elle est montée pour la première fois sur un trapèze à 8 ans ; depuis elle n’a jamais quitté son septième ciel, elle y est toujours, à 45 ans.

Trapèze ballant

Son grand-père avait ce qu’on appelait autrefois une « ferraille », dans un quartier chic de Genève où les Campana, d’origine italienne, étaient considérés comme des « manouches ». Titoune, à qui on ne fera pas cracher son vrai prénom, a vu un jour les trapézistes du cirque Knie, et ça n’a fait ni une ni deux : « J’ai demandé à mon oncle de me bricoler un trapèze avec des bouts de vélo, et c’était parti. Je m’entraînais au-dessus des chiffons, c’était pratique quand je tombais. J’ai toujours été hyper casse-cou, j’aimais être en hauteur, ce côté intouchable… Plus tu es haut, moins on t’embête. J’adore ce livre d’Italo Calvino, Le Baron perché… »

Titoune a vite quitté l’école, elle a travaillé dès l’âge de 13 ans, à 15 elle est partie au Canada, où ­André Simard, au Cirque du Soleil, était en train d’inventer une nouvelle discipline de cirque, le trapèze ballant, permettant des figures de plus en plus acrobatiques. La gamine « toute gaufrette », qui ne faisait même pas 40 kilos, est devenue sa muse et son cobaye. Elle pouvait tout faire.

« J’ai remplacé Vivaldi par le groupe de hard-rock AC/DC. Tout le monde a compris que je n’allais pas me laisser formater »

Mais la créature a échappé à son créateur : « L’image de la trapéziste était un vrai cliché : une ballerine sur un trapèze, avec en fond sonore Les Quatre Saisons de Vivaldi… Lors d’une présentation publique, j’ai remplacé Vivaldi par le groupe de hard-rock AC/DC. Tout le monde a compris que je n’allais pas me laisser formater. J’avais les cheveux bleus, un style très travaillé, je sortais direct d’un manga. Peut-être que j’ai toujours vécu dans un ­dessin animé, en fait ! » On ne vous raconte pas le rire de ­Titoune, quand elle le raconte.

Puis elle est rentrée en France, elle a vécu en squat au Mans, ­rebelle, toujours. Elle a croisé la route, par le biais d’un de ses comédiens, du grand artiste polonais Tadeusz Kantor, et celle de la chorégraphe Maguy Marin, grâce au Théâtre du Radeau de François Tanguy. Le goût de l’exploit et de la sensation s’est effacé derrière le désir d’exprimer un univers, de « donner autre chose que le côté superman, de montrer une fragilité ».

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Et là, elle est tombée, quasi au sens strict du terme, sur Bonaventure Gacon, clown et acrobate porteur, qui venait de sortir de l’école du cirque de Châlons-en-Champagne. Le colosse et le tanagra ont fait la paire, et ont créé le Cirque Trottola – « toupie », en italien – en 2001, avec un premier spectacle du même nom puis trois autres, Volchok, Matamore et, aujourd’hui, ce merveilleux ­Campana présenté lors du festival Spring. « Pour moi, le cirque c’est un tout, une philosophie de vie, ­explique Titoune. On voulait un chapiteau rouge, avec des loupiotes dehors, et être le plus souvent possible sur la route avec nos caravanes. Un vrai cirque, quoi ! »

Comme un petit singe

Elle s’est réinventée comme acrobate, en cherchant toujours de nouvelles figures, pas par goût de la virtuosité mais par envie ­inlassable d’explorer ce désir de vol, de vivre la tête en bas, d’être ­libre comme un petit singe, son animal totem. « Là, j’ai inventé un truc qui me faisait fantasmer depuis toute petite : faire du trapèze volant, mais toute seule. Je jongle avec trois trapèzes, dont deux qui sont manipulés par les musiciens, comme des marionnettes. »

Il faut voir ce qu’elle fait avec sa cloche – campana, en italien –, il faut la voir, petit pantin désarticulé, troll défiant les lois de la ­pesanteur, clown blanc scintillant de mille feux face à son Auguste de Bonaventure. « Le cirque, ce n’est pas un truc qui doit s’expliquer à coups de chichis et de pourquoi, lance-t-elle avec sa gouaille insensée. C’est un truc qui doit être là, irréfutable : des sensations fortes, la peur, le rire, la tristesse. »

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« Campana », du Cirque Trottola les 9, 10, 12 et 13 mars au Théâtre d’Elbeuf ; les 24, 26 et 27 mars sous chapiteau à Fleury.