L’avis du « Monde » - pourquoi pas

Le titre le proclame, Guillaume Nicloux voudrait faire œuvre d’explorateur. Les Confins du monde propulse une poignée de personnages sur un territoire, le nord du Vietnam, et en un temps – les mois qui suivirent la fin de la seconde guerre mondiale – qui restent vierges de cinéma. Mais cette virginité est trompeuse. Sur les pistes de la jungle, on discerne les traces de Francis Ford Coppola, de Pierre Schoendoerffer ou celles, presque effacées, de Julien Duvivier. Croyant tourner le dos au monde connu, l’auteur de Valley of Love (2015) combat les spectres de l’histoire – celle du cinéma, celle des guerres coloniales. Et, si l’affrontement ne manque pas de grandeur, il ne tourne pas forcément à l’avantage du film.

La figure centrale en est Robert Tassen (Gaspard Ulliel), un fantassin arrivé en Indochine après avoir combattu en France. Il est affecté dans le nord de l’Indochine française, près de son frère. Sa garnison est attaquée par les Japonais, aidés par les indépendantistes vietnamiens. Tassen émerge d’un monceau de cadavres, parmi lesquels celui de son frère, animé d’une soif de vengeance qu’il dirige contre un mystérieux leader vietminh. Sur la trajectoire que dessine cette vendetta, Guillaume Nicloux et son coscénariste, Jérôme Beaujour, tentent d’évoquer l’univers militaire colonial, fait d’ennui, de virées au bordel, de paroxysmes de barbarie.

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La lumière diffuse et lourde de la brume tropicale (remarquable travail du chef opérateur David Ungaro), le rythme tour à tour dolent et frénétique du récit, l’opacité du jeu de Gaspard Ulliel installent une perpétuelle prémonition de catastrophe, qui porte Les Confins du monde tout près de l’objectif que s’est sans doute fixé le réalisateur.

Jamais l’adversaire du soldat colonial n’est autrement défini que par son rapport aux projets et aux pulsions de l’envahisseur

Mais cette ambition se brise encore et encore sur le choc entre la fiction et l’histoire. Pour échapper aux Japonais, Robert Tassen a été aidé par une famille de fermiers de la jungle. Pour se venger, il constitue une unité composée de transfuges du Vietminh. En visite au bordel, il tombe amoureux de Maï (Lang-Khê Tran), une jeune femme que la guerre contraint à se prostituer.

Bon sauvage, traître, fille perdue : jamais l’adversaire du soldat colonial n’est autrement défini que par son rapport aux projets et aux pulsions de l’envahisseur. Par ailleurs, la volonté de ne rien cacher de la réalité du conflit tourne régulièrement au désavantage des insurgés, dont les atrocités sont détaillées alors que celles des coloniaux n’apparaissent que comme des représailles.

Lire la critique lors du festival de Cannes 2018 : « Les Confins du monde » ou la vengeance du soldat Tassen

Concours entre garçons

Malgré son désir de solitude, le héros trouve des compagnons : Cavagna (Guillaume Gouix), un autre engagé qui remet en cause l’hétérosexualité de Tassen, Saintonge (Gérard Depardieu), un écrivain pétri de catholicisme qui tente d’éclairer le chemin de croix du vengeur. Il y aurait de quoi ouvrir le registre du film, mais celui-ci se referme sans cesse sur la question de la virilité.

Le récit est façonné par une double obsession – celle, enfantine, qui conduit aux concours entre garçons, et celle de la castration – qui finit par réduire la mise en scène de l’entreprise coloniale à la volonté de l’homme blanc d’imposer la loi de ses attributs. C’est un peu court, au regard de la complexité du matériau de l’histoire, et un peu triste, au regard de la richesse de talents déployés.

LES CONFINS DU MONDE de Guillaume Nicloux - Bande-annonce - le 5 décembre au cinéma
Durée : 01:44

Film français de Guillaume Nicloux. Avec Gaspard Ulliel, Lang-Khê Tran (1 h 43). Sur le web : www.advitamdistribution.com/films/les-confins-du-monde, www.facebook.com/Advitamdistribution