La place de l’Etoile à Paris, le 1er décembre 2018. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Une main en partie arrachée, des éclats dans le corps… L’usage des GLI-F4, ces grenades lacrymogènes assourdissantes qui contiennent une charge de TNT, est de nouveau mis en question après avoir été déjà critiqué lors des heurts sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). A deux jours d’une nouvelle mobilisation à haut risque des « gilets jaunes », un collectif d’avocats a appelé, jeudi 6 décembre, le gouvernement à interdire l’emploi par les forces de l’ordre de certaines grenades accusées d’avoir blessé ou mutilé plusieurs personnes lors des dernières manifestations.

« Nous avons décidé collectivement, au nom des personnes que nous représentons, de demander très officiellement au premier ministre d’abroger le décret qui permet aux forces de l’ordre d’utiliser les grenades GLI-F4 », a déclaré, jeudi, Me Raphaël Kempf, lors d’une conférence de presse aux côtés de quatre confrères, William Bourdon, Ainoha Pascual, Chloé Chalot et Arié Alimi. En cas de refus ou d’absence de réponse de la part de l’exécutif, les avocats envisagent de se tourner vers le tribunal administratif « pour obtenir judiciairement l’interdiction de ce type de grenade ».

« Menaces sur la démocratie »

En attendant, quatre victimes, blessées à Paris lors des journées des 24 novembre et du 1er décembre, ont décidé de porter plainte contre X, notamment pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique et mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Me Bourdon, avocat de deux de ces personnes, a réclamé la désignation d’« un ou plusieurs juges d’instruction » pour mener ces enquêtes. Selon lui, « dans une période de crise et d’émeutes urbaines, ce qui différencie une démocratie des autres régimes, c’est que du fait de la loi, de la chaîne de commandement, des tactiques policières, la violence légale reste toujours légitime ». Me Bourdon a estimé qu’au cours de ces derniers jours cette « ligne de démarcation (…) a été franchie ».

Parmi les plaignants, Gabriel, un apprenti en chaudronnerie de 21 ans originaire de la Sarthe, a eu une partie de la main arrachée alors qu’il manifestait avec plusieurs membres de sa famille sur le rond-point des Champs-Elysées. Selon Me Pascual, conseil de la victime avec Me Bourdon, « la France est le seul pays de l’Union européenne » à utiliser ce type de grenades pour le maintien de l’ordre. A titre d’exemple, l’Allemagne, qui a notamment eu affaire à des manifestations lors du G20 à Hambourg en 2017, « n’utilise que des canons à eau et des gaz lacrymogènes », a-t-elle affirmé.

Risque mortel

Assurant ne pas vouloir « culpabiliser totalement les forces de l’ordre » qui « doivent pouvoir se protéger d’une menace », Me Alimi a jugé que l’emploi des GLI-F4, des grenades « militaires » selon lui, posait « une vraie problématique face à des civils ». En pointant « la responsabilité politique de l’Etat », il a appelé à ce que « chaque gendarme, chaque policier, quand il est en maintien de l’ordre, puisse comprendre qu’au moment où il va jeter une grenade (…), il a un risque véritable de blesser, mutiler ou tuer un civil qui est en face et que, même s’il est autorisé à utiliser ces armes pour l’instant, il est possible d’engager sa responsabilité pénale. »

Dans un rapport publié en janvier 2018, le Défenseur des droits avait estimé que la « dotation dans les opérations de maintien de l’ordre d’une arme présentant une telle dangerosité, eu égard à sa composition [restait] problématique ». En octobre, cinq personnes ont saisi le tribunal administratif de Nantes pour demander une expertise sur des blessures qui auraient été causées par des GLI-F4 lors d’une opération d’expulsion en avril sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Un autre type de grenades, les OF-F1, a été interdit en mai 2017 pour les opérations de maintien de l’ordre, après la mort en 2014 du militant écologiste Rémi Fraisse à Sivens (Tarn).

« Gilets jaunes » : violences au cœur de Paris
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