Une centrale géothermique de production de chaleur et d’électricité est en cours de construction à Illkirch Graffenstaden, en Alsace. / Pascal Bastien pour «Le Monde»

Critiqué par les ONG écologistes et par l’opposition, le discours d’Emmanuel Macron, mardi 27 novembre, sur la transition énergétique, a au moins fait des heureux en Alsace. En affirmant que « pour sortir du gaz, notre stratégie prévoit une montée en puissance de la géothermie, qui a beaucoup de potentiel », le chef de l’Etat a validé dans les mots ce qui est déjà en cours dans l’Eurométropole de Strasbourg, qui regroupe trente-trois communes du Bas-Rhin.

La géothermie profonde – qui consiste à extraire, grâce à des puits, de l’eau très chaude (environ 150-200 °C) afin de produire de la chaleur ou de l’électricité pour les entreprises ou les particuliers alentours – est un des piliers de la politique verte insufflée par les élus alsaciens. Leur objectif est ambitieux : 100 % d’alimentation en énergies renouvelables à l’horizon 2050 sur tout le territoire – alors que le taux est d’aujourd’hui de 15 %, contre 30 % pour le pétrole –, et une baisse de 70 % des émissions de gaz à effet de serre.

« Nous souhaitons être une des collectivités locales les plus innovantes en matière d’environnement et être un territoire à énergie positive, explique le président de l’Eurométropole, Robert Herrmann. On espère que la géothermie, à terme, apporte 20 % de nos besoins en énergie. »

Une prise de conscience

Pour l’élu socialiste, la prise de conscience a eu lieu au moment de la COP21 et de la signature de l’accord sur le climat à Paris en décembre 2015. « Ça a vraiment été le point de lancement pour la transition énergétique. Beaucoup d’appels à projets ont été lancés dans la foulée, explique-t-il. L’Etat à l’époque nous a dit : on met de l’argent, regardez ce que vous pouvez faire. Cela a créé une dynamique. On s’est engagé de manière très forte et en trois ans on a déjà beaucoup de résultats. » De nombreux programmes ont ainsi été lancés ou développés sur le territoire : solaire thermique et photovoltaïque, biomasse, biométhane, rénovation thermique des logements et, donc, la géothermie profonde.

« Cette mixité permettra d’arriver assez facilement aux 100 % d’énergies renouvelables et en plus d’avoir une énergie et de l’emploi local, estime Gilles Lara, directeur de l’association Alter Alsace énergies, qui conseille collectivités locales et particuliers dans leur transition énergétique. Mais il faut se lancer dès maintenant et ne pas attendre vingt ou trente ans, sinon il sera trop tard. »

Trois projets de centrale de géothermie ont été lancés sur le territoire : à Vendenheim, Eckbolsheim et Illkirch-Graffenstaden. A terme, l’intercommunalité estime que ces trois centrales permettront de chauffer l’équivalent de 23 000 logements, et de produire une consommation électrique équivalente à 50 000 logements.

Un sous-sol favorable

Si les élus misent tant sur cette technique c’est que l’Alsace, et notamment le fossé rhénan, profite d’un sous-sol favorable pour son développement. Elle a sous ses pieds une eau dont la température approche les 140 °C dès 2 000 m de profondeur et une roche chaude déjà fracturée qui permet l’extraction de cette eau par l’intermédiaire de deux puits. Le premier fait remonter l’eau à haute température, qui est ensuite transformée, via un échangeur thermique, en chaleur ou en électricité. Le second puits réinjecte dans le sous-sol l’eau refroidie en surface pour qu’elle se réchauffe de nouveau grâce aux roches chaudes.

« Nous croyons beaucoup en cette nouvelle filière industrielle qui permet d’avoir une ressource renouvelable, non intermittente, explique Marc Kugler, directeur général d’Electricité Strasbourg, filiale d’EDF, qui réalise les centrales d’Illkirch et de Rittershoffen. C’est une énergie dont les prix vont être stables, contrairement au gaz, au charbon ou au pétrole, qui peuvent être très volatils. » « On en est encore qu’au début, ce n’est pas ça qui va ébranler les cadors de l’industrie pétrolière », nuance de son côté M. Lara.

Malgré la mise en place d’une centrale de recherche dans le Bas-Rhin, dès la fin des années 1980, à Soultz-sous-Forêts, la filière n’en est encore qu’à ses balbutiements. La technique suscite des craintes, notamment après les accidents qui ont eu lieu en Allemagne il y a dix ans, ou en Suisse : de l’eau injectée à haute pression dans le sous-sol à 5 km de profondeur a provoqué plusieurs mini-séismes dans la région de Bâle en 2006, et un autre d’une magnitude de 3,6, sept ans plus tard à Saint-Gall. « Ce n’est pas le même type de géothermie, assure M. Kugler. Les accidents ont été dus à la fracturation, nous, c’est du forage, on ne casse pas la roche et on va moins bas que ce qui a été fait en Suisse. »

Puit de forage à Illkirch Graffenstaden, en Alsace, le 27 novembre 2018. / Pascal Bastien pour «Le Monde»

Une « petite révolution »

A Illkirch-Graffenstaden, il a fallu beaucoup de travail en amont pour faire accepter la centrale de géothermie qui surplombe désormais les champs en périphérie de la ville de 27 000 habitants. « Les différents incidents ont créé une psychose chez eux, c’est vrai. On a donc organisé beaucoup de réunions publiques, on a été très transparents, explique le maire, Claude Froehly. Les habitants se sont rendu compte que ça permettait d’avoir une énergie propre, de proximité et qui ne représente pas beaucoup de risques. »

Cette centrale, dont les forages jusqu’à 3 000 m de profondeur ont commencé début septembre, permettra d’alimenter dès 2021 l’équivalent de 13 000 logements en chauffage et 2 800 en électricité. « Grâce à cette technique, nous éviterons l’émission de 11 000 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 4 500 véhicules », se félicite M. Kugler.

Outre la géothermie, M. Froehly, qui souhaite que sa ville puisse avoir « une plus grande indépendance énergétique », cherche également à développer l’énergie solaire à partir de panneaux photovoltaïques. La ville du Bas-Rhin est ainsi la première en France à expérimenter un parc solaire lacustre : 135 panneaux flottent depuis le début de l’année sur un étang produisant de l’électricité, notamment pour le parc animalier voisin. L’objectif, si l’expérience s’avère concluante, est d’en poser 18 000 d’ici 2021 sur une ancienne ballastière.

Pour M. Froehly, face à l’urgence de la situation climatique, c’est désormais aux élus locaux de prendre les choses en main : « On est dans une petite révolution, il est temps que tout le monde se secoue. Il faut que l’Etat donne les grandes orientations, mais il faut qu’au niveau local on accompagne les citoyens pour que cet effort puisse être accepté par tous. »

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :