Peu avant 7 heures, dimanche 23 mai 2004, le toit de l’aérogare avait cédé, entraînant la destruction d’une partie de ce terminal en forme de tunnel de verre et de béton inauguré à peine onze mois plus tôt, et dont ADP voulait faire « la vitrine de la France ». / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Quatorze ans après l’effondrement du toit du terminal 2E de Roissy qui a fait quatre morts, des amendes allant jusqu’à 225 000 euros ont été requises jeudi 13 décembre à Bobigny contre quatre sociétés, dont ADP (ex-Aéroports de Paris), qui porte une responsabilité « écrasante » aux yeux du ministère public.

Ces quatre sociétés comparaissent depuis lundi devant le tribunal correctionnel pour homicides et blessures involontaires. Les débats doivent s’achever vendredi et le jugement sera mis en délibéré.

Le procureur Loïc Pageot a demandé que l’amende la plus lourde soit infligée à l’exploitant du deuxième aéroport européen, qui « a usé et abusé de sa position dominante » sur les trois sociétés sous-traitantes. 150 000 euros ont été réclamés contre le bureau d’étude (Ingerop), 125 000 contre le constructeur GTM (filiale de Vinci) et 100 000 contre le bureau de certification Veritas.

« Manque de transparence »

Peu avant 7 heures, dimanche 23 mai 2004, le toit de l’aérogare avait cédé, entraînant la destruction d’une partie de ce terminal en forme de tunnel de verre et de béton inauguré à peine onze mois plus tôt, et dont ADP voulait faire « la vitrine de la France ». Six arcs en béton et quatre passerelles s’étaient effondrés sur une trentaine de mètres, tuant quatre voyageurs étrangers – deux Chinois, une Libanaise, une Ukrainienne – et blessant sept personnes, parmi lesquelles des employés et des policiers travaillant sur la plateforme.

Dans un réquisitoire implacable, le procureur a pointé du doigt « les délais extrêmement tendus imposés » lors de la construction du bâtiment, mais aussi un « manque de transparence » et « un contrôle insuffisant de l’exécution ». « On a pensé à l’esthétique, à l’innovation. A la sécurité, on n’a pas toujours pensé », a-t-il déploré.

Les débats ont mis en lumière les défauts de ce bâtiment à 650 millions d’euros dessiné par l’architecte Paul Andreu, concepteur de l’Opéra de Pékin aujourd’hui décédé, et qui ne devait « ressembler à aucun autre ». Il était notamment reproché au groupe ADP – à la fois maître d’ouvrage (concepteur) et maître d’œuvre (client) – de s’être montré négligent « eu égard à la complexité et au caractère atypique de l’ouvrage envisagé ». Lors de l’enquête fleuve, les experts ont démontré que la résistance des voûtes était « très insuffisante » et estimé que la structure était « très proche de la ruine dès sa conception ».

« Course à l’esthétique au détriment de l’humain »

Ils avaient aussi relevé des « fautes d’inattention » à tous les niveaux de l’opération, « révélatrices » d’un « défaut de coordination et de supervision ». Ils avaient évalué à 50 % la part de responsabilité technique d’ADP, contre 25 % pour Ingerop, 15 % pour GTM et 10 % pour Veritas. Si Ingerop et Veritas ont reconnu à la barre du tribunal de Bobigny une « faute collective », Aéroports de Paris a refusé d’admettre sa responsabilité dans l’accident. Les trois entreprises sous-traitantes ont regretté de n’avoir jamais eu « une vue d’ensemble du projet ». Elles ont aussi mis en cause le « délai extrêmement contraignant » exigé par ADP.

« C’est pas moi, c’est les autres !” Nous sommes dans une logique de cour de récréation. Il n’y a pas de compassion pour les victimes », a estimé le procureur. Jeudi matin, trois femmes qui ont assisté à l’accident, deux employées de café et une hôtesse d’Air France, ont raconté, en larmes, leur « vie détruite », encore traumatisées quatorze ans après. « Depuis, on nous prend pour des folles. Nous sommes délaissées, personne nous écoute », a témoigné une ancienne employée de café. Son conseil, Muriel De Winne, qui estime que ce terminal 2E avait privilégié « la course à l’esthétique au détriment de l’humain », a demandé 50 000 euros d’indemnités.

Le renvoi devant un tribunal correctionnel de l’exploitant de l’aéroport et des trois sociétés impliquées dans la construction ou la supervision de l’ouvrage n’avait été décidé par un juge qu’en octobre 2017, au terme d’une instruction fleuve, ponctuée par les expertises destinées à démêler les responsabilités dans ce dossier très technique