Le pouvoir serbe de Bosnie fait arrêter le leader de la contestation
Le pouvoir serbe de Bosnie fait arrêter le leader de la contestation
Par Jean-Baptiste Chastand
Des tensions ont éclaté entre manifestants, qui réclament la vérité sur le meurtre d’un étudiant, et policiers.
La police des Serbes de Bosnie arrête l’un des militants « Justice pour David », à Banja Luka, le 25 décembre. / Radivoje Pavicic / AP
La police des Serbes de Bosnie-Herzégovine a mis durement fin, mardi 25 décembre, à neuf mois de protestation anti-pouvoir inédite. Au matin du jour de Noël, elle a arrêté le leader du mouvement « Justice pour David » qui manifestait presque tous les jours depuis mars à Banja Luka contre le gouvernement de la « Republika Srpska », une des deux entités qui constituent ce pays des Balkans, au côté de la fédération bosno-croate. Accusé de « menace à la sécurité », Davor Dragicevic, 49 ans, a été appréhendé devant chez lui.
Cet homme a lancé son mouvement pour protester contre la conduite déplorable de l’enquête sur la mort de son fils, David, 21 ans, retrouvé le 24 mars dans une rivière. Cet étudiant en informatique avait d’abord été qualifié de drogué par les autorités qui avaient évoqué une chute ou un suicide, avant de reconnaître en juin face à la pression de la rue qu’il avait été assassiné. Réunissant certains jours plusieurs milliers de personnes, le mouvement demandait tous les soirs à 18 heures la démission de plusieurs ministres du gouvernement de l’entité serbe, et s’en prenait aussi directement à l’homme fort des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik.
« Les tueurs sont au sommet »
« Les tueurs sont au sommet de la Republika Srpska », y proclamait Davor, le poing levé, près d’un petit mémorial qu’il avait édifié en plein cœur de la capitale des Serbes de Bosnie. Malgré ce mouvement inédit, M. Dodik, un ancien modéré devenu ultranationaliste en 2006, a remporté, côté serbe, les élections générales organisées début octobre. Pendant sa campagne, il s’en était pris plusieurs fois violemment à Davor Dragicevic et annoncé qu’il ferait nettoyer Banja Luka après le scrutin. Désormais membre de la présidence tournante de Bosnie, il semble avoir attendu les congés de fin d’années pour mettre sa menace à exécution. « Je ne pense pas qu’une telle opération puisse avoir été faite sans qu’il en soit informé et ils ont visiblement attendu Noël car tous les diplomates sont partis du pays en ce moment », assure Tanja Topic, analyste à la fondation allemande Friedrich Ebert. Déchiré par la guerre entre 1992 et 1995, le pays est toujours sous surveillance internationale.
M. Dragicevic avait été convoqué par la police pour avoir manifesté le 17 décembre sans autorisation devant le Parlement des Serbes de Bosnie, également situé à Banja Luka. Il avait ignoré cette convocation. Plusieurs militants de son mouvement, la mère de David, des journalistes, ainsi que des leaders de l’opposition ont également été arrêtés sous le regard des caméras mardi. La plupart ont été rapidement remis en liberté, sauf un député d’opposition. Le mémorial improvisé a ensuite été démantelé sous la surveillance de centaines de policiers déployés dans la ville, qui ont tenu à distance les protestataires descendus spontanément dans la rue. « Cela fait beaucoup de violence contre des gens simples qui ont toujours manifesté pacifiquement, déplore Mme Topic.
« Signal alarmant »
Dans un communiqué, la délégation de l’Union européenne en Bosnie a également demandé des « explications immédiates » sur ces arrestations, en évoquant « un signal négatif et alarmant sur la situation de l’Etat de droit en Bosnie Herzégovine ». M. Dragicevic avait été reçu récemment par les ambassadeurs de l’UE qui avaient « salué ses efforts inlassables pour demander pacifiquement justice pour le décès de son fils ». Dans un contexte de corruption généralisée et d’infiltrations mafieuses des forces de l’ordre, le mouvement « Justice pour David » était largement soutenu dans toute la Bosnie, y compris par les Croates et les Bosniaques. De quoi fragiliser le discours ultra-sécuritaire de Milorad Dodik, qui s’est toujours fait fort de défendre la sécurité des Serbes face à la menace hypothétique d’un retour des affrontements interethniques. Mardi soir, plusieurs dizaines de Sarajeviens, une ville majoritairement bosniaque, sont ainsi descendus dans la rue en signe de solidarité.