Hadja Idrissa Bah, une jeunesse contre les violences faites aux femmes
Hadja Idrissa Bah, une jeunesse contre les violences faites aux femmes
Par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
Amour et sexualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest (8). La jeune Guinéenne a créé en 2016 le Club des jeunes filles leaders de Guinée qui lutte contre les mariages forcés, les viols conjugaux et les mutilations génitales.
Portrait. C’est un foulard écarlate qui coiffe sa colère au milieu de la foule. « Les filles et les femmes sont victimes. C’est notre journée ! Nous appelons les autorités à répondre de leurs responsabilités », martèle Hadja Idrissa Bah devant une poignée de journalistes. Nous sommes à Conakry le 8 mars 2017, et, avec ses camarades, elle vient d’être aspergée de gaz lacrymogène par la police. La vidéo fait le tour du Web, reprise par des médias internationaux impressionnés par son éloquence et son témérité, rares chez une jeune fille de 18 ans. Mais, dans la capitale, tout le monde connaît déjà la verve de Hadja. « On m’appelle la fille à foulard briseuse de mariages », lance-t-elle, avec une pointe de fierté. Cela veut dire que les actions de son Club des jeunes filles leaders de Guinée fonctionnent. « Tous les jours, je reçois des appels de femmes violentées par leur mari. Ça m’encourage à continuer la lutte, car, en me parlant, elles démontrent que quelque chose est en train de changer en Guinée. Aujourd’hui, les femmes osent dénoncer. »
Mariages forcés, grossesses précoces, viols conjugaux, mutilations génitales, violences de genre, ces thématiques lourdes, Hadja les éponge depuis ses 13 ans, âge de sa naissance militante, lorsqu’elle a été élue au Parlement des enfants guinéens représentante de Ratoma, la commune populaire de Conakry qui l’a vue grandir. C’est sa fine connaissance de ces sujets qui a décidé de sa sélection pour le projet éditorial du Monde Afrique avec le Fonds français Muskoka, dont l’ambition est de faire parler huit jeunes Ouest-Africains sur ces enjeux. « On dit que c’est le milieu qui fait l’homme, eh bien dans mon quartier, tout le monde fait n’importe quoi ! », lance-t-elle. A quelques pas de la maison familiale, l’axe routier « Carrefour transit » est un haut lieu de prostitution. Le quartier dégorge sur le bitume ses restaurants bon marché et ses « espaces de blague », comme on appelle ici les bars remplis de jeunes riards fumant et draguant.
Dans un café de Conakry, en décembre 2017, la Guinéenne Hadja Idrissa Bah discute avec une adolescente et sa mère qui ont appelé au secours son Club après le viol de la jeune fille. / UNFPA/Fonds Francais/Muskoka/Vincent Tremeau
« Il y a de nombreuses grossesses non désirées chez les jeunes, explique-t-elle. Toutes ces filles prennent soin de leur enfant et ne vont plus à l’école, ou les parents les rejettent. » Cette exclusion a été l’un des déclencheurs de son engagement. Le premier, plus intime, remonte à ses 10 ans. Des vacances « convoquées » par sa famille pour mieux masquer une tromperie. « Je me suis retrouvée face à une vieille femme qui m’a excisée. » Une tradition dont sont encore victimes 92 % des Guinéennes. Le deuxième pays le plus concerné dans le monde après la Somalie.
La tâche est vaste
« Je suis issue d’une famille où les jeunes filles n’ont pas le droit à la parole, avance-t-elle. Ma mère est une femme très soumise qui fait des ménages. Elle est la raison pour laquelle je mène cette lutte. » A son père, boutiquier, elle voue de l’admiration. « Ma chance, c’est qu’il a compris l’importance de l’éducation et m’a mise dans une école française. » Bosseuse, Hadja enquille les bonnes notes. Son père est fier de sa réussite. « Il m’encourage à oser, à défendre mes idées. » Un jour de 2009, il la présente à l’un de ses amis, Ibrahima Diallo, directeur de l’ONG Protégeons les droits humains. Celui-ci la forme aux thématiques sociales et lui apprend à parler en public. Un second père pour Hadja.
En 2014, à 15 ans, elle devient présidente du Parlement des enfants. Puis, avec plusieurs filles volontaires, elles décident de créer une organisation consacrée à la lutte pour les droits des femmes et des enfants. Le 28 février 2016 naît le Club. La tâche est vaste. Selon une enquête de 2017 réalisée par le gouvernement, 63 % des Guinéennes sont victimes de violences conjugales, 29 % de violences sexuelles, 22,8 % des filles sont mariées avant leurs 15 ans, et 55 % avant 18 ans.
Avec l’appui de structures internationales, le Club a mis en place des sensibilisations communautaires et des cellules d’écoute. « Depuis juillet, on a empêché quatorze mariages précoces », se félicite Hadja. Le Club passe à la télé, remporte des prix, dont le dernier lui a été remis au Canada, le 17 novembre. Une célébrité devenue fardeau. « On dit à mon père : “Tu as perdu ta fille, elle mène une lutte contre la tradition et la religion !” Il a peur mais me soutient. » Hadja est l’aînée de neuf enfants et la première de la famille à faire des études supérieures. En science politique, depuis la rentrée d’octobre. Mais elle aimerait faire du droit, car le temps politique est déjà le sien hors des cours. Avec ses engagements, les profs ne la voient qu’une semaine par mois.
8-Mars 2018
Durée : 01:56
Hadja garde la tête froide. « Pour l’instant, nous avons des plaidoyers à mener sur le terrain et le ministère de la justice à interpeller. » Les âmes critiques ? Elle les invite à la rejoindre. « Notre lutte doit devenir celle de tous : parents, chef de quartier, juge, imam… Nous ne luttons pas pour l’argent ou la célébrité, mais parce que ces violences, nous les avons vécues. Les femmes méritent d’avoir un corps pur et complet, de ne pas être privées de leurs droits. » Le pouvoir ? Avec ses jeunes lionnes, elle l’arracherait bien à la vieille garde, jusqu’à devenir « ministre, présidente même… Une fille peut bien aussi rêver ! ».
Cette série a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds français Muskoka.
Sommaire de notre série Amour et sexualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest
Le Monde Afrique, en partenariat avec le Fonds français Muskoka, a enquêté sur la jeunesse africaine et décidé de lui donner la parole dans une série spéciale. Quatre garçons et quatre filles originaires d’Afrique de l’Ouest et centrale ont débattu à Dakar de leurs rêves et de leurs difficultés. Rentrés chez eux, ils ont écrit sur les sujets qui leur tiennent à cœur.
Présentation de notre série Amour et sexualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest
Episode 1 « Quand les filles d’Abidjan prennent le pouvoir sur la drague grâce aux réseaux sociaux »
Episode 2 « Mettre un frein à l’émancipation des Nigériennes, c’est nuire à toute la société »
Episode 3 Etre adolescent et gay au Bénin, c’est vivre caché dans un monde libre
Episode 4 « Au Tchad ou ailleurs, les hommes de qualité ne craignent pas l’égalité »
Episode 5 Au Mali, l’amour impossible de Mariame la noble et Oumar le griot