Carlos Ghosn : les arguments de la défense en trois points
Carlos Ghosn : les arguments de la défense en trois points
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
L’audience au tribunal et la conférence de presse données mardi par ses avocats ont permis d’obtenir la « version » de l’ancien président de Nissan.
Croquis d’audience représentant l’ex-PDG de Nissan, Carlos Ghosn, lors de sa comparution devant le tribunal de Tokyo, le 8 janvier. / NOBUTOSHI KATSUYAMA / JIJI PRESS / AP
L’audience au tribunal et la conférence de presse marathon donnée mardi 8 janvier par ses avocats ont permis d’obtenir la « version » de la partie de Carlos Ghosn. Sa défense a d’ailleurs déposé à 19 h 30 (heure locale) une demande d’annulation de la détention de l’ancien dirigeant de Nissan et de Mitsubishi, jugeant les accusations sans fondement.
M. Ghosn est détenu depuis le 19 novembre. Il a été arrêté à trois reprises, la dernière le 20 décembre pour abus de confiance aggravé. Pour établir un tel délit sanctionné de dix années de prison, il faut prouver simultanément le non-respect par le président-directeur général de ses obligations officielles, un enrichissement personnel ou au profit d’un tiers et un comportement portant préjudice à l’entreprise. Pour la défense, Carlos Ghosn n’est coupable d’aucun de ces manquements.
Le parquet reproche à Carlos Ghosn d’avoir imputé en 2008 à Nissan des pertes d’un montant de 1,85 milliard de yens (14,8 millions d’euros) sur des investissements personnels dans des dérivés de devises. Pour l’accusation, Carlos Ghosn aurait pour cela fait de Nissan une partie prenante du contrat sur les dérivés de devises, « l’obligeant à assumer l’obligation d’une responsabilité des pertes dans le cadre de ce contrat ».
Toujours selon le parquet, 14,7 millions de dollars (12,8 millions d’euros) auraient été versés par une filiale de Nissan à Nissan Gulf, une coentreprise créée avec le Saoudien Khaled Al-Juffali, comme remerciement à ce dernier pour avoir aidé Carlos Ghosn à résoudre des problèmes financiers en débloquant 3 milliards de yens (24 millions d’euros).
Le 8 janvier, le juge, Yuichi Tada, a par ailleurs expliqué que le maintien en détention était justifié par la crainte d’une fuite du suspect ou de le voir détruire des preuves.
1. Sur l’accusation d’avoir imputé des pertes à Nissan
D’après ses avocats, Carlos Ghosn gère ses avoirs en dollars. Or Nissan ne pouvait le payer qu’en yens. Pour réduire les risques de pertes en cas de brusque appréciation de la devise nippone, il a sollicité la banque Shinsei, qui a recommandé la mise en place d’un système de conversion en dollars à taux fixe par l’intermédiaire de dérivés.
Or la crise financière de 2008 a fait énormément progresser le yen et plonger la Bourse. Les garanties de crédit de Carlos Ghosn étant des bons indexés sur des actions, elles ont perdu de leur valeur. La banque en a donc sollicité de nouvelles.
Selon la défense, Carlos Ghosn aurait alors pu démissionner et utiliser les montants devant lui être versés à la retraite comme garanties. Il a refusé de le faire car, a-t-il déclaré au tribunal, « un capitaine ne saute pas du bateau au milieu d’une tempête ».
M. Ghosn a choisi de solliciter l’aide de son ami saoudien Khaled Al-Juffali et un contrat a été signé entre la banque, le gestionnaire d’actifs de Carlos Ghosn et Nissan, avec l’accord du conseil d’administration, « à condition que cela ne coûte rien à l’entreprise ». Et, d’après la défense, Nissan n’a enregistré aucune perte.
2. Sur le versement de 14,7 millions de dollars à Nissan Gulf
La défense maintient qu’il s’agissait d’une juste rémunération d’activités réalisées au profit de Nissan.
Elle a obtenu un communiqué de M. Al-Juffali, décrivant ses activités pour le constructeur nippon qui, « entre 2008 et 2012, a rencontré des difficultés pour ses ventes en Arabie saoudite ». M. Al-Juffali explique avoir travaillé pour la résolution d’un différend avec le concessionnaire de Nissan à l’époque, pour convaincre des fonds d’Abou Dhabi d’investir dans l’entreprise ou encore pour des négociations avec la famille royale saoudienne. De quoi justifier l’enveloppe versée.
En outre, les avocats « présument que les procureurs n’ont pas, à ce jour, interrogé » M. Al-Juffali ni « reçu de témoignage de sa part reconnaissant que les 14,7 millions de dollars n’étaient pas une rémunération d’un travail pour Nissan ».
3. Sur le maintien en détention justifié par le risque de fuite ou de destruction de preuve
Les avocats jugent qu’il n’y a pas « pas de risque de fuite », car M. Ghosn est connu dans le monde entier. Ils assurent également que « le gouvernement français a préparé un document précisant que si une résidence en France était autorisée en cas de libération sous caution, il assumerait la responsabilité de garantir sa présence au tribunal ».
Le document en question serait une « Lettre de confort ». Fournie aux avocats par les autorités françaises, elle affirme qu’elles useront de leur influence pour assurer la présence du justiciable à son procès. L’objectif d’un tel document est de donner du poids aux demandes des avocats pour une libération sous caution assortie d’un droit de sortie du territoire.
Sur la destruction de preuves, la défense de Carlos Ghosn estime que le parquet a déjà l’ensemble des documents nécessaires pour les deux charges pesant sur Carlos Ghosn.