Interdictions administratives de stade : un bilan contrasté
Interdictions administratives de stade : un bilan contrasté
Par Clément Guillou
La mesure, dont veut s’inspirer Edouard Philippe pour sanctionner les casseurs dans les manifestations, fait l’objet de nombreux abus, selon ses détracteurs.
Les interdictions adminstratives de stade prononcées par les préfets ont été instaurées en 2006 après une montée des tensions au Parc des Princes (à Paris) entre supporteurs du Paris-Saint-Germain. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Efficaces comme outil de maintien de l’ordre, coûteuses en ressources humaines pour la police et douteuses du point de vue des libertés publiques, les interdictions administratives de stade (IAS), dont le gouvernement semble vouloir étendre le principe aux casseurs des manifestations, font l’objet d’un bilan contrasté, plus de dix ans après leur application.
S’inspirant d’une proposition de loi votée par la majorité de droite au Sénat en octobre 2018, Edouard Philippe a, lundi 7 janvier, sur TF1, fait l’éloge des mesures contre le hooliganisme prises « dans le courant des années 2000 » pour mettre fin à des « débordements d’une grande violence » dans « les stades de foot ». Ces mesures, qui ont à l’époque « surpris et parfois interrogé », ont finalement « bien fonctionné », a estimé le premier ministre.
Deux types d’interdiction
Dans les stades, les mesures d’interdiction sont de deux ordres : celles prononcées par la justice, rendues possible par la première loi sécuritaire liée au sport en 1993 et d’une durée maximale de cinq ans ; et celles prononcées par les préfets, instaurées depuis 2006 par un amendement glissé dans une loi antiterroriste et d’une durée maximale de deux ans.
La première mesure avait permis de lutter contre le hooliganisme au moment où il était devenu une vraie problématique dans les stades français ; la seconde, provoquée par une montée des tensions au Parc des Princes entre supporteurs du Paris-Saint-Germain, a été utilisée dans des buts plus variés, en témoigne l’explosion du nombre d’interdictions de stade.
Après être monté à 573 sur la saison 2009-2010, lorsqu’un supporter parisien était mort dans un affrontement entre bandes devant le Parc des Princes, le nombre d’interdictions de stade est redescendu à un peu moins de 300 ces deux dernières saisons. Le chiffre mêle les deux formes d’interdictions de stade.
La Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) ne détaille pas les raisons de ces interdictions de stade, dont les défenseurs des supporteurs « ultras » assurent qu’elles sont rarement liées à des faits de violence.
Une définition des infractions relativement large
Interrogé sur leur légitimité en 2017, le ministère de l’intérieur vantait des mesures « soumises au contrôle rigoureux du juge administratif, répondant à des conditions légales strictes, et notamment aux principes de nécessité et de proportionnalité ».
« La vocation des IAS a été détournée de son objet premier, déplore l’Association nationale des supporters (ANS). Créée pour lutter contre des comportements violents, elle sert majoritairement à sanctionner la détention ou l’usage de fumigènes et la vente de places au marché noir. »
La définition des infractions pouvant provoquer une IAS est relativement large, puisqu’un préfet peut la prendre à l’encontre d’un supporteur qui « par son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives ou sa participation à la commission d’un acte grave, constitue une menace pour l’ordre public ».
« C’est extrêmement large et décidé sur la base d’un rapport de police, commente Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole centrale de Lyon et spécialiste des « ultras ». L’avantage est que c’est dissuasif et très rapide : des problèmes le samedi peuvent donner lieu à une IAS quelques heures plus tard. Mais cela peut donner lieu à des abus. Un certain nombre de mesures sont mal motivées. Elles peuvent concerner des gens extrêmement dangereux, comme des individus qui sont mal identifiés ou ont simplement eu un comportement limite. Un certain nombre d’actions contestataires visant les clubs ont donné lieu à des interdictions de stade massives, dont certaines ont été cassées. »
Beaucoup d’annulations
Ainsi, en août 2010, un sit-in de protestation de supporteurs parisiens, opposés au nouveau plan de sécurisation du Parc des Princes (dit « plan Leproux ») avait donné lieu à un coup de filet dans le monde des ultras contestataires : 249 IAS prononcées, malgré l’absence de violences ce jour-là.
Tous ceux qui ont contesté leur interdiction de stade devant le tribunal administratif ont obtenu gain de cause, au motif que le trouble à l’ordre public n’était pas fondé, mais cette action d’envergure avait porté un coup fatal à la contestation du plan mis en place par le PSG et par la préfecture de police.
Pierre Barthélemy, avocat de l’ANS, revendique une centaine d’IAS cassées par la justice administrative, « avec un taux de succès autour de 95 % ». La décision judiciaire n’intervenait cependant qu’à l’issue de la mesure, les demandes de statuer en référé étant systématiquement rejetées au motif que le droit d’aller au stade ne constituait pas une liberté fondamentale – le droit de manifester pourrait être considéré différemment par la justice administrative.
« Oui, beaucoup d’interdictions administratives sont annulées », convenait, en 2016, la sénatrice Les Républicains Catherine Troendle, alors rapporteure d’une proposition de loi pour la lutte contre le hooliganisme. L’élue du Haut-Rhin a néanmoins porté en octobre 2018 la proposition de loi visant à étendre cette mesure aux auteurs d’actes violents dans les manifestations.
« Aucun audit précis ni définitif n’existe »
« C’est un système qui n’a pas été évalué, estime Nicolas Hourcade. Aucun audit précis ni définitif n’existe, tandis qu’il a été présenté par Edouard Philippe comme une solution miracle. En France comme à l’étranger, il a eu un effet mais c’était une mesure parmi d’autres. Elle peut avoir des avantages en termes de maintien de l’ordre mais pose des difficultés, implique de fixer des garde-fous, et la question de son application aux manifestations se pose. Il ne faut pas partir de l’idée que ça n’a posé aucun problème chez les supporteurs. »
Les avocats des supporteurs de football ont regardé le « 20 Heures » avec Edouard Philippe avec un sentiment doux-amer, de ceux qui crient dans le désert depuis des années. « Ça y est, on y est, se désole Cyril Dubois, conseil de supporteurs du Paris-Saint-Germain. On met en garde depuis très longtemps contre l’extension à d’autres catégories de la population, car on voit que c’est très efficace pour briser un mouvement de contestation et très dangereux du point de vue des libertés publiques. Cela a tué des couples, tué des gens professionnellement car obligés de pointer deux fois par soir dans un commissariat tous les trois jours parce qu’ils avaient allumé un fumigène. Et tout cela dans un large consensus médiatique et associatif, pour qui les ultras du foot l’avaient bien mérité. »
« Ces mesures ont été plus faciles à mettre en place en raison de la mauvaise image sociale des supporteurs et de leur peu de relais médiatiques », confirme M. Hourcade.
Comme pour donner leur donner raison, le Syndicat de la magistrature jugeait, mardi 7 janvier, « particulièrement fallacieux » la comparaison avec les mesures antihooligans. « Le gouvernement en est-il vraiment réduit à considérer que la liberté de manifester ses opinions ou son mécontentement ne mérite pas davantage de protection que la liberté d’aller au stade ? »