Mondial de handball : la France, joyau sans Karabatic
Mondial de handball : la France, joyau sans Karabatic
Par Clément Martel
Les Bleus font leur entrée en lice dans la compétition face au Brésil, vendredi à Berlin, sans leur maître à jouer, blessé.
Une ombre plane sur l’équipe de France masculine de handball. Celle de Nikola Karabatic. Alors que les Français démarrent le Mondial 2019 face au Brésil, vendredi 11 janvier à Berlin, ils vont devoir faire route dans cette compétition, dont ils sont les doubles tenants du titre (2015 et 2017), sans leur maître à jouer.
Pour la première fois depuis 2003, le demi-centre de 34 ans sera absent d’une compétition internationale. Il a été opéré, mi-octobre 2018, d’un Hallux valgus au pied gauche qu’il traînait depuis près de deux ans. Cette déformation de l’avant-pied (inclinaison du gros orteil vers le deuxième) provoquait des « douleurs vives et intenses » au joueur, contraint à l’opération sous peine d’hypothéquer sa fin de carrière.
Le capitaine, Cédric Sorhaindo, reconnaît que « cela va [lui] faire bizarre, car, depuis treize ans que je suis en bleu, je n’ai jamais fait une compétition sans lui ». L’équipe de France, qui sera l’équipe à battre en raison de sa domination sans partage sur le handball mondial depuis plus de dix ans, assure ne pas se formaliser de l’importance donnée à cette absence.
« Dès que l’on parle de handball en France, on parle de Nikola, expose l’arrière droit Adrien Dipanda. C’est le plus grand joueur de l’histoire du handball, donc c’est normal que son absence pose des questions. » A commencer par celle-ci : comment faire jouer une équipe quand la figure tutélaire et dépositaire de son jeu est sur le flanc ?
Anticipation
« C’est un joueur irremplaçable, souligne l’ancien international Patrick Cazal, il va forcément manquer à l’équipe. » Mais l’entraîneur de Dunkerque reste confiant quant à la capacité française à se réinventer.
Le sélectionneur des Bleus, Didier Dinart, et son adjoint, Guillaume Gille, ont anticipé ce cas de figure depuis plusieurs années, s’appuyant sur le travail de fourmi effectué par la Fédération française de handball pour faire tourner à plein régime son « usine à champions ».
« Depuis quelques campagnes, on a aménagé [à Nikola Karabatic] du temps pour qu’il puisse se régénérer, explique Guillaume Gille. Cela a aussi permis à d’autres de grandir sans la présence de Niko sur le terrain. »
« On voit que Didier anticipe toujours l’évolution de l’équipe et plonge des jeunes dans le grand bain afin de parer à tous les coups durs », complète Luka Karabatic, qui dispute sa première compétition internationale privé de son aîné. Le pivot français rappelle que les Bleus ont eu plusieurs mois pour se préparer à l’absence de son frère : « Ce n’est pas comme si cette blessure était advenue lors d’un match amical au dernier moment. »
Les handballeurs français, qui ont déjà disputé des grandes compétitions en étant privés de certains cadres (ils ont été sacrés champions du monde en 2011 sans l’ailier Luc Abalo, et en 2015 sans l’arrière Daniel Narcisse), assurent connaître la marche à suivre. « On doit être encore plus forts collectivement, et on a tellement de solutions qu’on peut faire face à n’importe quelle absence, avance l’ailier Valentin Porte. On n’est pas loin d’avoir l’un des plus beaux effectifs que la France ait jamais eu sur tous les postes. »
Depuis que Didier Dinart a pris en charge la destinée de l’équipe de France, les rôles sont plus partagés. Reste que, dans les moments décisifs, quand il fallait forcer la décision tant en attaque qu’en défense, Karabatic était malgré tout celui vers lequel l’équipe se tournait. « C’est surtout la force de la personnalité de Nikola, son leadership et sa capacité à transcender et à faire peur à l’extérieur qui risquent de nous manquer. Ainsi que sa présence dans les moments importants, quand sa puissance fait rage », concède Philippe Bana, le directeur technique national du handball français.
La blessure du maestro pourrait « libérer » les adversaires des Bleus. « Psychologiquement, son absence peut les renforcer », reconnaît Valentin Porte. « Ils vont peut-être se lâcher un peu plus, poursuit le capitaine montpelliérain. A nous de leur montrer que, même sans Nikola, ça ne change rien, que l’on est toujours aussi solides en défense et qu’en attaque, on est deux ou trois à pouvoir pallier son absence. »
« A nous d’ancrer dans le cerveau de nos adversaires, dès le premier match, que, quelle que soit l’équipe alignée sur le terrain, l’équipe de France reste la plus forte », complète Adrien Dipanda.
Joker de luxe ?
Après les retraites internationales de Daniel Narcisse et du gardien Thierry Omeyer, l’absence de Karabatic ébauche une fin de chapitre dans la riche histoire du handball hexagonal. Mais le point final est loin d’être apposé. Car l’hypothèse d’un retour du numéro 13 fétiche des Bleus en fin de parcours reste envisageable. Depuis son opération, fin octobre, le joueur effectue sa rééducation à marche forcée et lui, comme son sélectionneur, entretiennent le doute.
« Si on a la chance d’avoir Niko dans un état de forme physique optimal, on ne s’en privera pas », assure Didier Dinart, qui a inclus le joueur du PSG Handball dans sa liste élargie des 28 pré-sélectionnés et pourrait faire appel à lui dans le cadre des trois modifications dans l’effectif autorisées au cours de la compétition. Discret depuis son retrait forcé des terrains, l’intéressé estime à « 2 ou 3 % » ses chances de devenir un joker de luxe, mais refuse de s’avancer : « Je ne suis pas Nostradamus. »
« Cette année, par rapport au dernier Mondial, on a perdu Niko [Karabatic], Daniel [Narcisse] et Titi [Thierry Omeyer], nos trois joueurs à avoir été élus meilleur joueur du monde, constate l’arrière droit Nedim Remili. On n’est plus les “Experts”, mais une équipe qui se renouvelle avec des nouveaux joueurs, jeunes, mais déjà expérimentés. »
Pour autant, l’escouade reste ambitieuse. Double tenante du trophée mondial, la France peut, si elle réitère la performance, devenir la première nation de l’histoire à remporter trois couronnes planétaires d’affilée. Fidèle à lui-même, Didier Dinart ne se cache pas et « assume [ses] ambitions », sans pour autant faire du titre l’objectif principal. « On veut notre ticket pour les Jeux » olympiques de Tokyo en 2020, claironne Valentin Porte, à l’unisson de toute l’équipe.
Le Montpellierain garde en lui « la blessure de la dernière finale olympique », à Rio en 2016, où les Bleus avaient été défaits par le Danemark, et estime que la France, même privée de sa clé de voûte, « a vraiment un coup à jouer, sans être archi-favorite ».
Le chemin le plus court vers Tokyo passe par un nouveau sacre mondial.