Editorial du « Monde ». Vu d’une France qui se débat avec la crise sociale des « gilets jaunes », un taux de chômage de plus de 9 % et un déficit budgétaire qui se creuse dangereusement, le ralentissement économique en Allemagne peut passer pour un problème de riches. Malgré un marché du travail dynamique et des excédents budgétaire et commercial record, la première économie européenne a nettement ralenti en fin d’année en affichant une croissance de 1,5 % en 2018 contre 2,2 % l’année précédente, passant très près d’une récession sur la dernière partie de l’année.

L’Allemagne n’est toutefois pas en crise, loin de là, et dispose encore d’importantes marges de manœuvre. Si cette contre-performance doit être relativisée au regard de fondamentaux qui restent solides, elle doit aussi conduire le pays à réfléchir sur une évolution d’une logique économique et budgétaire qui, après avoir assuré ces dernières années une prospérité enviée, montre aujourd’hui des signes concrets d’essoufflement.

Un manque de main d’œuvre et d’investissement

Les causes du trou d’air sont conjoncturelles, mais des éléments plus structurels sont venus s’ajouter. Le secteur automobile, fer de lance de l’industrie allemande, traverse une mauvaise passe. La mise en œuvre de la nouvelle procédure de certification des normes de consommation des voitures a provoqué d’importantes perturbations, qui pèsent sur la production. Economie ouverte, qui a longtemps profité du dynamisme de son commerce extérieur, l’Allemagne souffre aussi du ralentissement mondial. La montée des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis pèse sur les échanges. Enfin, les incertitudes liées au Brexit ont rendu les investisseurs frileux.

Au-delà de nuages sans doute passagers, l’économie allemande est confrontée à ses propres limites. Après une séquence faste, l’outil de production a désormais du mal à suivre, faute de main-d’œuvre disponible. Même s’il n’y a jamais eu, depuis la réunification, autant d’Allemands sur le marché du travail, les bras commencent à manquer. Or, selon les calculs du Fonds monétaire international (FMI), le nombre d’actifs, même en comptant l’apport migratoire, va commencer à baisser à partir de 2020. L’Allemagne évitera difficilement un débat sur l’allongement des carrières et sur la façon d’encourager le travail des femmes, dont la moitié sont encore à temps partiel. Enfin, le pays commence également à souffrir du manque d’investissements dans ses infrastructures.

Un modèle arrivé au bout de sa logique

Alors que, sur le plan politique, l’ère Merkel est en train de se clore, l’Allemagne doit maintenant entrer dans une nouvelle phase sur le plan économique. Jusqu’à présent, la perpétuation des excédents – budgétaire et commercial – a fait office de stratégie économique. La chancelière a su surfer sur les réformes décidées par son prédécesseur et sur une conjoncture porteuse. Mais ce modèle, qui table sur une orthodoxie doublée d’un mercantilisme excessif, est arrivé au bout de sa logique.

Ce ralentissement de la croissance montre que l’heure des réformes a sonné. L’Allemagne doit réfléchir à une prospérité plus inclusive, tant sur le plan intérieur qu’au niveau européen. Cela passe principalement par une accélération des investissements publics, une réorientation de l’excès d’épargne qui doit être prioritairement investi en zone euro. Il est temps désormais que Berlin repense sa relation avec le reste de l’économie mondiale, dans l’intérêt tant de ses partenaires européens que de l’Allemagne elle-même.