Arte, mercredi 16 janvier à 22 h 35, documentaire

Il fallait toute la délicatesse d’Yves Jeuland (qui a notamment réalisé les documentaires A l’Elysée, un temps de président, ou encore, consacré à notre quotidien, Les Gens du « Monde ») pour parler, en public, avec Marceline Loridan-Ivens de celle qui était née Rozenberg en 1928 et qui s’est éteinte le 18 septembre 2018. Nous sommes en 2014, et cela se passe au Forum des images, à Paris.

Lire la critique d’« A l’Elysée, un temps de président »  : Les silences du président

Pour accompagner cette interview filmée – et diffusée en marge du 27 janvier, Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste –, des photos, quelques extraits du film Chro­nique d’un été, de Jean Rouch et Edgar Morin, ainsi que des images du documentariste Joris Ivens, qui fut le compagnon de Marceline trente ans durant. Sur scène, trois musiciens : une guitare, un accordéon et le violon d’Eric Slabiak. Et il faut entendre ce violon et cette voix, laquelle, par le seul choix de la langue, le yiddish, fait revivre la culture de la Mitteleuropa. « Ma souffrance la plus grande, c’est sa perte », confie Marceline Loridan, qui ajoute son inquiétude quant au devenir d’une France pas toujours si douce et à l’antisémitisme pour le moins persistant.

Chevelure rousse et teint de lait, elle se laisse guider par les questions d’Yves Jeuland. Et y répond sans ambages. Parce qu’elle fait partie de celles et de ceux qui pensent qu’il faut dire, et tout dire ; écrire, et tout écrire – même « les furoncles » et « la diarrhée ». En fait, il lui aura fallu du temps – une vie presque – pour le faire : en 2003, elle réalise La Petite ­Prairie aux bouleaux, traduction du mot « Birkenau », avec Anouk Aimée ; et, cinq ans plus tard, elle publie Ma vie balagan ­(Robert Laffont), récit détaillé de son ­histoire.

Révoltée et cash

Longtemps, elle dira : « Je crois que l’on a l’âge des traumatismes qu’on a vécus. Alors toute ma vie j’aurais 15 ans. » Elle a 15 ans en ­effet quand elle et son père sont arrêtés, dans la maison du « presque bonheur », à Bollène dans le Vaucluse, en ce 29 février 1944. ­Ensuite, c’est ce qui est connu et ce qu’il faut dire et réécrire : l’inhumanité et, comme le dira Simone Jacob devenue Veil, qui fut l’amie de Marceline Loridan-Ivens, l’impardonnable.

Ce furent les camps. Ce fut l’enfer, dont son père ne reviendra pas. Devenue un numéro – 78750, qu’elle articule encore en allemand –, Marceline fera tout pour essayer de devenir une femme. Mais revenir, « C’est l’horreur : les gens ne comprenaient pas. On ne nous écoutait pas. » Le mot d’ordre est : « Oublie ! » Alors, Marceline cache son matricule sous un sparadrap. Elle a 17 ans et la rage du désespoir chevillée au corps. D’ailleurs, cela se voit à plusieurs reprises, lors de cette soirée, qu’elle rit pour ne pas pleurer. Qu’elle ne lâche rien parce que, elle a raison, il ne faut rien lâcher. Comme elle le dit, d’emblée : « Je suis partie révoltée, je suis revenue révoltée et je suis toujours révoltée. Ça a été sans doute l’une des forces de ma survie. »

Lire la critique de « Ma vie balagan » : Une vie de combats

Révoltée et cash. Drôle et inquiète. Elle sait l’être humain ­capable de tout, même du pire. De ça aussi, elle parle. Et c’est en ce sens qu’il est important qu’existe une trace, filmée, de cet émouvant dialogue avec Yves Jeuland. Pour que sa parole soit entendue et demeure. Parce que c’est un devoir de ne pas oublier, ou, pour reprendre les mots de l’auteur israélien David Grossman, parce qu’« il est dur de se souvenir, mais plus effrayant ­encore d’oublier ».

La Vie balagan de Marceline Loridan-Ivens, d’Yves Jeuland (France, 2018, 1 h 27). www.arte.tv