Parmi les nouvelles accusations visant M. Ghosn, le versement de rémunérations à Claudine Oliveira, l’une de ses sœurs, pour des activités de conseil d’un montant de 755 000 dollars (660 000 euros) de 2003 à 2016. / ERIC FEFERBERG / AFP

En détention depuis le 19 novembre au Japon, Carlos Ghosn s’est déjà vu notifier trois inculpations pour minoration de ses revenus sur deux périodes différentes et transferts de pertes personnelles dans les comptes de Nissan. Un tribunal de Tokyo a refusé mardi sa demande de remise en liberté.

Pourtant, il ne se passe pas un jour sans fuites de l’enquête interne de Nissan, accablantes pour celui qui a remis le groupe sur pied. Ces éléments sont distillés petit à petit, en parallèle de l’enquête du parquet japonais, comme le rapporte Les Echos, mercredi 16 janvier.

Soupçons de népotisme

Parmi les nouvelles accusations visant M. Ghosn, le versement de rémunérations à Claudine Oliveira, l’une de ses sœurs, pour des activités de conseil d’un montant de 755 000 dollars (660 000 euros) de 2003 à 2016. Dans une lettre en date de mars 2003, ne mentionnant pas leur lien de parenté, le PDG de l’Alliance Renault-Nissan l’informe de son nouveau titre de « conseillère » au sein d’un « global donation advisory council » qui, selon une source proche du constructeur, n’a jamais existé.

Son contrat sera renouvelé en mars 2010, selon un courriel, malgré une annotation signalant les difficultés de la compagnie japonaise à cause de la crise financière. Le dossier de Nissan mentionne aussi des donations à des universités libanaises, ou encore une demande de paiement, en 2014, d’un abonnement de yacht-club au Brésil d’une valeur de quelque 63 000 dollars (environ 55 000 euros).

Revenus d’une filiale néerlandaise, achats immobiliers…

La semaine dernière, une source proche du dossier révélait ainsi que le Libano-Brésilo-Français aurait reçu une rémunération de plus de 7 millions d’euros en 2018 de la part d’une filiale néerlandaise codétenue par Nissan et Mitsubishi Motors (NMBV), sans approbation des patrons des constructeurs Nissan (Hiroto Saikawa) et Mitsubishi Motors (Osamu Masuko).

Mardi, une autre source a produit diverses pièces, dans le but d’étayer des charges connues, qui avaient rapidement filtré après l’interpellation de M. Ghosn en novembre à Tokyo. C’est le cas par exemple des résidences de luxe achetées à Beyrouth ou Rio de Janeiro par une filiale de Nissan aux Pays-Bas, Zi-A. Selon des comptes rendus de réunions, cette filiale était officiellement censée investir dans des start-up. En réalité, elle aurait été créée pour procéder à des achats immobiliers profitant au magnat de l’automobile et de sa famille, d’après un mémo interne à l’adresse de Greg Kelly, bras de droit de Carlos Ghosn, arrêté en même temps que lui.

Sur le même volet, Nissan, qui mobilise plusieurs centaines de personnes sur l’enquête depuis plusieurs mois, reproche à son ex-sauveur d’avoir procédé à une coûteuse rénovation de la maison de Beyrouth, avec ruines antiques apparentes. Deux courriels rédigés en 2017, attribués à l’homme d’affaires de 64 ans et envoyés à des responsables de Nissan, font état d’une demande de transfert d’argent pour payer les artisans et l’entreprise de décoration, et déplorent ensuite des retards dans le paiement. En tout, les travaux auraient coûté 7,2 millions de dollars (6,3 millions d’euros). Carole Ghosn, épouse du magnat de l’automobile, aurait aussi réclamé, selon un e-mail adressé en octobre 2017 à un employé de Nissan, le règlement de deux lustres pour le salon, d’un montant de 65 000 euros.

Déstabilisation

La défense de Carlos Ghosn n’a pas commenté mardi ces accusations, pas plus que le constructeur Renault, dont l’industriel reste officiellement président-directeur général. Le groupe au losange avait dénoncé vendredi une « campagne de déstabilisation délibérément orchestrée » après des révélations sur une proche du PDG de Renault, Mouna Sepehri. Cette directrice déléguée à la présidence de Renault est accusée d’avoir reçu près de 500 000 euros répartis sur plusieurs années en tant que membre du directoire de l’alliance Renault-Nissan.

L’enquête de Nissan va plus loin que la justice japonaise, qui a fait arrêter Carlos Ghosn le 19 novembre à Tokyo. Cette dernière lui reproche jusqu’ici un abus de confiance, et d’avoir minoré ses revenus dans des rapports boursiers de Nissan entre 2010 et 2018. Lors de sa première comparution devant la justice la semaine dernière, le dirigeant, qui fait l’objet de trois différentes inculpations et risque en théorie jusqu’à quinze ans de prison, s’était dit « faussement accusé ». Le procès de M. Ghosn n’aura pas lieu avant des mois.

« Carlos Ghosn avait, du fait de ce qu’il a accompli, un très grand crédit au sein du groupe », a répété Hiroto Saikawa, le patron de Nissan, dans une interview au quotidien Les Echos, jugeant « absurde » le scénario d’un complot. Le soir même de l’arrestation de son ancien mentor, M. Saikawa avait dénoncé la concentration de pouvoir entre les mains de celui qui avait réussi à rassembler Renault et Nissan en 1999, au sein d’une alliance appelée à devenir le premier groupe automobile mondial.

Plusieurs représentants du gouvernement français étaient attendus à Tokyo mercredi 16 janvier, pour une série de rencontres avec les différents protagonistes du dossier Renault-Nissan, en vue de préparer l’après-Carlos Ghosn, a dit Bercy mardi soir, confirmant une information du Figaro.