« Une jeunesse dorée » : les liaisons dangereuses, époque Palace
« Une jeunesse dorée » : les liaisons dangereuses, époque Palace
Par Jacques Mandelbaum
Le film d’Eva Ionesco remet en scène sa relation avec sa mère.
Faut-il encore présenter Eva Ionesco, la réalisatrice d’Une jeunesse dorée ? Très vite alors. Naissance en 1965, fille de la photographe Irina Ionesco, qui la fait poser très jeune dans des attitudes suggestives, et parfois plus que cela. Suffisamment longtemps et régulièrement pour que la jeune fille finisse par fuir.
En 2012, après une longue période de latence et moult épisodes de la saga judiciaire qui l’oppose à sa mère, Eva tire un beau film de cette enfance, My Little Princess (2011), avec Isabelle Huppert dans le rôle d’une photographe nommée Hannah, et sa fille Violetta qui lui sert de modèle. Une sorte de conte de fées parfaitement noir et parfaitement cruel.
Le premier volet d’une trilogie annoncée était ainsi posé. Entre-temps, Eva Ionesco a poursuivi l’exploration de son enfance sous forme romanesque (Innocence, 2017), rencontré et épousé l’écrivain Simon Liberati, qui lui consacre également un ouvrage (Eva, 2015), et en compagnie duquel elle écrit le scénario de son film d’inspiration autobiographique, Une jeunesse dorée, qui débute en 1979. L’enfance est désormais derrière l’héroïne. Une adolescente de 16 ans, nommée Rose (Galatéa Bellugi), la remplace.
Elle se fait la belle de la DDASS au tout début du film, accompagnée de son jeune fiancé, Michel (Lukas Ionesco, fils d’Eva), jeune peintre sans le sou. Elle est brutale, il est doux. Ils sont jeunes, beaux, passionnément liés l’un à l’autre, dandyesques à souhait, prêts à toutes les expériences, toutes les démesures, toutes les dérives. Ils s’installent à Paris, fréquentent le Palace, côtoient une belle bande d’excentriques (parmi eux, un jeune acteur nommé Alain-Fabien Delon, dont la troublante ressemblance avec son père occulte fatalement les qualités d’interprétation).
Exercice cruel
Parmi ces derniers, un couple plus âgé prend bientôt l’ascendant sur le petit groupe. Lucile (Isabelle Huppert) et Hubert (Melvil Poupaud). Riches, oisifs, manipulateurs, complices et compétiteurs, amateurs d’expériences libertines et de chair fraîche, ce sont un peu les Merteuil et Valmont de leur époque, dans ce film qui pose lui-même aux Liaisons dangereuses des années Palace.
Rose et Michel tombent sous leur joug, sans être dupes pour autant et avec l’idée arrêtée d’en tirer profit pour leur part. Il y a dans cette histoire du jeu, du plaisir, de l’intérêt bien senti et de la ruse, des deux côtés.
Entre les deux couples qu’un abîme social sépare, rien ne s’avoue, mais c’est à qui poussera le plus loin les limites de la séduction, du défi et de la complaisance. L’exercice est cruel, les jeunes s’y brûlent, mais il est formateur. Ses variations, et les obsessions cosmétiques (décors, costumes, poses, outrances) qui l’accompagnent, occupent l’essentiel du film au risque de le faire tourner en rond. Mais les filles y sont tellement resplendissantes (pardon messieurs !) qu’elles permettent à l’œuvre d’emporter le morceau.
Isabelle Huppert en rouée magistrale et Galatéa Bellugi en sauvageonne léonine y font assaut de talent et c’est à qui, croit-on, dévorera l’autre. On y aura reconnu, sans surprise, le couple principiel, celui formé par la mère et la fille, ici reconduit sous les auspices de la dénaturation. Enjeu récurrent et nécessaire à une émancipation dont l’œuvre en cours est la tardive mise en formes.
UNE JEUNESSE DORÉE - Bande annonce
Durée : 01:37
Film français d’Eva Ionesco. Avec Isabelle Huppert, Galatéa Bellugi, Lukas Ionesco, Melvil Poupaud, Alain-Fabien Delon (1 h 52). Sur le Web : www.kmbofilms.com/une-jeunesse-doree et www.macassarproductions.com/une-jeunesse-doree.html