« En prépa, j’étais perçue comme une banlieusarde »
« En prépa, j’étais perçue comme une banlieusarde »
Marie-Ange, 20 ans, originaire du Val-d’Oise, a suivi une classe préparatoire littéraire à Paris. Aujourd’hui en licence de lettres modernes, elle raconte sa singularité de « banlieusarde » dans une formation « d’élite ».
Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Aujourd’hui, Marie-Ange, 20 ans, étudiante originaire du Val-d’Oise. Elle a suivi une classe préparatoire littéraire où elle a été confrontée à un milieu social radicalement différent de celui dans lequel elle avait grandi.
Pendant mes deux années de classe prépa littéraire, j’ai quitté ma banlieue pour étudier et habiter à Paris. Dans ma famille, on m’a toujours poussée à faire des études. Mais faire une classe prépa à Paris, c’était inimaginable pour moi. Je n’étais pas pressentie pour poursuivre ce genre de filière, du fait du statut et de la localisation de mon lycée d’origine, dans le 95. Je me répétais : « Genre, moi Marie-Ange, je suis en classe préparatoire aux grandes écoles. Je fais partie de l’élite ? Moi, une racaille d’élite ? Et en plus de ça, je vis dans un internat dans le 16e, à Ranelagh, près d’Auteuil… Alors que j’ai passé toute ma scolarité dans le 95, dans mon lycée de banlieue, avec quasiment que des Noirs et des Arabes ».
Oui, je me sentais vraiment différente. La moitié de mes camarades de prépa sortaient de lycées privés ou de très bons lycées parisiens du type Victor-Duruy. Et puis le 16e, c’est un quartier ségrégué, où il n’y a que des petits bobos. Mon prof de géographie et de géopolitique n’avait pas tort quand il nous expliquait que le 16e, c’est un quartier d’entre-soi. Pour m’amuser, il m’arrivait même de compter le nombre de minorités que j’apercevais dans ce quartier, tellement je ne me sentais pas à ma place. Nous n’étions pas nombreux. C’était vraiment un mode de vie différent.
Une classe « remplie de Blancs »
Mais ça, c’était avant de rencontrer des personnes comme moi, de mon milieu social et de rencontrer ma prof de philosophie, algérienne, qui comprenait notre malaise et nous valorisait. Elle aussi avait été en classe préparatoire, à Louis-le-Grand, et elle était la seule Arabe dans sa classe. Ce qui explique pourquoi elle était aussi compréhensive et exigeante envers nous. Car elle avait vécu ce que je décris, et elle voulait qu’on réussisse. On n’était que deux Noirs et trois Arabes dans une classe remplie de Blancs.
On a formé une clique et, ensemble, on s’est rendu compte de notre privilège d’être ici en tant que minorités. La prépa, c’était vraiment un autre délire ! J’avais l’impression que si je m’intéressais à autre chose que la littérature, comme le rap français ou les téléréalités, et que j’avais le malheur de reprendre des expressions argotiques de là d’où je viens, je perdais toute crédibilité en tant que « littéraire » et « intellectuelle ».
La majorité des gens de banlieue ont abandonné à mi-parcours, parce que ce n’était pas leur délire et qu’ils ne se sentaient pas dans leur environnement. La mentalité, les principes et les valeurs morales, tout était bien trop différent. L’esprit de compétition entre les étudiants, les notes classées, la condescendance de certains profs… Ils n’ont pas supporté cette ambiance élitiste.
Une fois, je me souviens, j’étais avec une camarade et elle me parlait en mode « yo, wesh wesh, tchip, je suis une meuf de la cité ». Je trouvais ça tout sauf drôle. Qu’est-ce que ça signifiait ? Parce que je venais de la banlieue, on me collait une étiquette de fille qui ne savait pas bien s’exprimer ? Quand j’avais le malheur de me plaindre ou de m’énerver, on me disait : « Vous les Noirs, vous vous énervez trop rapidement ».
« Je me devais d’être à la hauteur »
La prépa, ce n’était pas mon délire, mais je suis parvenue à m’adapter tout en restant fidèle à moi-même. Je n’ai jamais abandonné, même si je ne me sentais pas à ma place. Ce qui m’a permis de garder la tête haute et de ne pas abandonner, c’est ma ténacité et ma détermination à réussir une formation à la fois exigeante et prestigieuse, pour laquelle je n’étais pas pressentie.
Je n’avais certes pas le même bagage intellectuel que certains de ma classe au départ, mais je me différenciais parce que je venais de banlieue et que j’étais perçue comme une banlieusarde. Mais pas n’importe quelle banlieusarde ! Une banlieusarde qui aime l’art, qui fait du théâtre et qui lit du Barthes, une sorte de Moha La Squale bis. Comme je le dis souvent : une « racaille » faisant partie de l’élite. Ça faisait ma singularité. Et j’ai pu constater qu’une grande motivation peut venir à bout des plus grandes difficultés. Noâm aussi [lire son témoignage ici] est un « banlieusard » et a fait une prépa ! Et il a fini par trouver son équilibre entre les deux milieux, malgré sa prétendue différence.
Je me suis rendu compte de la chance que j’avais de venir de banlieue. Je me devais d’être à la hauteur ! Dans ma ville, tout le monde ne fait pas de grandes études. J’étais un vrai modèle pour mes amis et les grands du quartier qui ont arrêté les études très tôt pour dealer de la drogue. Un jour, ils m’ont vue rentrer chez moi, et ils m’ont appelée « l’intellectuelle ». Ils me disaient : « Tu es courageuse. Continue comme ça, on est fier de toi, tu es la fille la plus intelligente qu’on connaisse ». Et ça me faisait plaisir dans le fond, parce que j’avais le sentiment d’avoir accompli quelque chose, après tous les sacrifices que j’ai été amenée à faire pour mes études. Pour le moment, je n’ai encore rien accompli professionnellement, si ce n’est être vendeuse dans une boutique de fringues. Je suis en troisième année de licence de lettres modernes à l’université de Nanterre. Mais je compte bien atteindre mes objectifs et cela, peu importe le milieu d’où je viens.
La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans
La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.
Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.