« Un berger et deux perchés à l’Elysée ? » : un candidat et un film battent la campagne
« Un berger et deux perchés à l’Elysée ? » : un candidat et un film battent la campagne
Par Jacques Mandelbaum
Pierre Carles et Philippe Lespinasse ont suivi Jean Lassalle dans sa course à la présidentielle.
A l’œuvre depuis le début des années 1990, Pierre Carles, ex-journaliste passé du côté du documentaire d’intervention, ne cesse depuis lors d’apporter sa pierre à la critique des médias. Autant dire que ses films, qui marchaient plutôt bien du temps de Pas vu pas pris (1998) et de La sociologie est un sport de combat (2001), peinent davantage à trouver leur public dès lors qu’il semble aujourd’hui entendu que les médias sont globalement bons à jeter aux ordures.
D’un autre côté, Pierre Carles pratique un cinéma qui ne convainc pas davantage les cinéphiles que la presse ne trouve grâce à ses propres yeux. Virulence idéologique et manipulation tous azimuts ne sont pas de nature, en effet, à faire exister des personnages. Aussi bien, Un berger et deux perchés à L’Elysée ? est le film de l’auteur, ici coréalisé avec Philippe Lespinasse que l’on préfère et de loin. Parce qu’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, parce que son inspiration situationniste séduit, parce qu’il est à la fois drôle, humain et subversif.
Enigme vivante
L’histoire est fantasque. Le déclencheur du film a été la vision par Jean Lassalle, futur candidat malheureux à l’élection présidentielle française de 2017, du documentaire consacré par Carles au président équatorien Rafael Correa, anticapitaliste convaincu (Opération Correa, film en deux parties, réalisé en 2015 et 2016). Jean Lassalle appelle le réalisateur et le convainc de travailler avec lui à sa campagne. Ce dernier accepte, enrégimente Philippe Lespinasse dans ce projet fou, l’un et l’autre séduits par l’ascendance populaire et le tempérament fraternel du maire de Lourdios-Ichère (Pyrénées-Atlantiques), quand bien même l’homme, rangé à droite, n’est pas a priori de leur bord politique.
Mais de quel bord est Jean Lassalle ? De quelle pâte cet homme est-il fait ? Tient-il de l’ironie socratique ou du gag béarnais ? De la droite modérée ou de l’extrême gauche qui s’ignore ? De Pierre Dac ou de Guy Debord ? Promus par bravade et curiosité à un métier qui n’est pas le leur, les deux hommes, qui ne rêvent pas non plus d’enlever le poste suprême, vont se résoudre au meilleur des défis : transformer ces questions en film.
Car le Jean est proche du MoDem et électeur de Nicolas Sarkozy. En même temps, il manque de mourir d’une grève de la faim pour le maintien d’une usine dans sa région et marche à pied à la rencontre des Français. L’homme est aussi pour Nuit debout et les « gilets jaunes », et contre le mariage pour tous.
Détenteur de casseroles comportementales à l’égard de la gent féminine, il serre par ailleurs volontiers la main du président syrien, Bachar Al-Assad, qui décime son peuple. Homme habité et énigme vivante, vivant fraternel et pinard sur la cravate, Jean Lassalle peut se réjouir d’être le héros d’une œuvre qui lui ressemble : non pas un documentaire de campagne, mais un film qui bat librement la campagne.
Documentaire de Pierre Carles et Philippe Lespinasse (1 h 41). Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/un-berger-et-deux-perches-a-lelysee