Monaco : ce que traduisent le départ de Thierry Henry et le retour de Leonardo Jardim
Monaco : ce que traduisent le départ de Thierry Henry et le retour de Leonardo Jardim
Par Rémi Dupré, Clément Guillou
La quête de plus-values – et des commissions – sur les transferts de joueurs, qui a été la boussole de la direction du club de football ces dernières années, a montré ces limites au plan sportif depuis quelques mois.
Là-dessus au moins, Thierry Henry avait vu juste : « Cela va être la guerre. » L’ex-entraîneur de l’AS Monaco l’avait promis jeudi 24 janvier, en conférence de presse, quelques heures avant d’être suspendu de son poste pour mauvais résultats. Une nuance quand même : quand Henry faisait référence au terrain, « la guerre » aura lieu dans les palaces de la Principauté.
Le football n’est pas un monde de principes, mais on a rarement vu assassinat si manifestement prémédité que celui d’Henry à Monaco. Vendredi 18 janvier, l’ex-entraîneur de l’ASM (2014-2018) Leonardo Jardim accorde au correspondant de L’Equipe sa première interview depuis son licenciement, le 11 octobre 2018.
L’entretien paraît mardi 22 janvier et le Portugais s’y cache à peine : « Il y a une chose dont je suis sûr, peut-être pas à 100 %, mais à 80 %, c’est que je reviendrai à Monaco. » Il souligne ses bonnes relations, intactes, avec le vice-président russe, Vadim Vasilyev, et glisse : « Je ne suis plus là depuis bientôt quatre mois et les résultats sont restés négatifs, non ? » Monaco pointe alors à l’avant-dernière place de Ligue 1 et son « successeur » affiche un bilan calamiteux (seulement 4 victoires depuis sa nomination).
Mercredi 23 janvier, Monaco subit une humiliation de plus, en Coupe de France à domicile contre le FC Metz (1-3), pensionnaire de Ligue 2. Le lendemain, en début de soirée, l’ASM annonce la suspension de son entraîneur néophyte.
Quelques heures plus tard, Leonardo Jardim et son agent et compatriote, le « tentaculaire » Jorge Mendes, dînent avec Vadim Vasilyev. Le retour aux commandes du Portugais est acté. Voilà pour l’apprentissage de Thierry Henry à la cruauté du poste.
Le prochain à quitter la Principauté devrait être le directeur sportif Michael Emenalo, un dénicheur de jeunes talents arrivé de Chelsea en novembre 2017. Ses relations avec Leonardo Jardim sont décrites comme mauvaises. Son prédécesseur, l’Espagnol Antonio Cordon, n’était resté qu’un an. La stabilité n’est plus une spécificité monégasque.
Des choix qui, sportivement, interrogent
L’ASM va traverser une zone de turbulences mais c’est devenu l’habitude d’un club qui, jusqu’à peu, était toujours tranquille, qu’il parvienne en finale de la Ligue des champions (2004) ou descende en Ligue 2 (2011). Depuis l’été 2018, c’est comme si les plaques tectoniques s’agitaient sous le Rocher, traversé de secousses régulières.
Sportivement, plusieurs choix interrogent :
- celui de licencier Leonardo Jardim, champion de France et demi-finaliste de Ligue des champions en 2017, et qui avait subi, depuis 2014, les changements d’effectifs incessants en continuant de qualifier le club pour la Ligue des champions. Ce licenciement s’est fait au prix d’une indemnité colossale (8 millions d’euros), alors que les finances du club sont surveillées par l’Union des associations européennes de football (UEFA) dans le cadre du fair-play financier ;
- celui de recruter un entraîneur néophyte, dont les compétences au poste sont inconnues et qui n’a pas de connaissance particulière de la Ligue 1, alors que la situation du club est déjà périlleuse ;
- celui, enfin, de le licencier trois mois plus tard, pour un coût qui ne devrait pas être mince non plus (Nice-Matin évoque une somme comprise entre 10 millions et 15 millions d’euros) et de rappeler Jardim, jugé en fin de cycle cet automne.
Un proche de l’AS Monaco, furieux de la tournure des événements, se lâche : « Thierry Henry était trop jeune comme entraîneur pour la configuration d’octobre [le club était déjà 18e de Ligue 1]. Un décideur cohérent et mature ne l’aurait pas considéré. La gestion est pour le moins étonnante à la tête de ce club… sauf quand on a compris où est la logique : celle des commissions sur les transferts. »
Le rôle central de l’agent Jorge Mendes
Depuis la reprise du club par l’oligarque russe Dmitry Rybolovlev à la fin de 2011, le puissant agent Jorge Mendes est considéré comme le directeur sportif officieux du club monégasque. Après avoir fait venir les premières stars de l’ASM version russe – Radamel Falcao, James Rodriguez, Joao Moutinho – et y avoir introduit son proche Luis Campos comme directeur sportif, Jorge Mendes est devenu l’agent de l’entraîneur Leonardo Jardim.
Pendant plusieurs années, il a contrôlé les entrées et les sorties du club, en lien avec l’unique décideur final, Vadim Vasilyev. La quête de plus-values a été la boussole du tandem : en attestent la série de cessions effectuées à l’été 2017 et le départ de Kylian Mbappé pour le PSG contre 180 millions d’euros.
L’intérêt des deux hommes a souvent primé sur le sport, toujours selon cette source très au fait des affaires du club : « La logique de commission provoque des achats chers et illogiques, avec trop souvent le même agent : Jorge Mendes. Les commissions incitent à vendre, mais aussi à se laisser parfois imposer ce que d’autres ne veulent pas. »
Vasilyev dans l’œil de la justice monégasque
L’agent de Cristiano Ronaldo n’est pas seul à avoir fait fortune dans la grosse machine à échanger des joueurs qu’est l’AS Monaco. Vadim Vasilyev aussi, comme l’ont révélé les « Football Leaks » : selon son contrat, une prime équivalant à 10 % des plus-values sur les ventes de joueurs lui est versée – des moins-values sont déduites le cas échéant.
Vadim Vasilyev et Jorge Mendes étaient par ailleurs en affaire dans un commerce de « parts » de joueurs (la fameuse TPO, pratique qui consiste pour un club à céder une partie des « droits de propriété » sur un joueur à un fonds d’investissement).
Le club est ensuite devenu l’otage d’un échange de services entre le prince Albert et M. Rybolovlev, qui a, selon les révélations de Mediapart, subitement menacé de ne plus verser un centime à l’ASM à la suite d’un désaccord avec le souverain, mettant le club au bord du dépôt de bilan.
En novembre 2018, l’oligarque russe a été mis en examen par la justice monégasque pour « corruption » et « trafic d’influence », dans le cadre de l’affaire d’escroquerie présumée qui l’oppose à son ancien marchand d’art suisse Yves Bouvier. L’idylle entre le clan russe et le palais princier était bel et bien terminée.
Le palais hausse le ton
La façade que représente l’ASM pour le micro-Etat n’est plus si belle, et les actionnaires monégasques au conseil d’administration du club, qui possèdent un tiers du club, sont tenus à l’écart des décisions.
A la mi-novembre, alors que les « Football Leaks » levaient le voile sur l’utilisation politique de l’AS Monaco par Dmitry Rybolovlev, le prince Albert est sorti de sa réserve dans Mediapart et a ouvert grand la porte de sortie :
« Pour l’instant, il faut respecter la présomption d’innocence, à moins que lui-même décide de mettre fin à sa présidence de l’AS Monaco. (…) Si jamais tout cela était avéré, je pense qu’il se retirera de lui-même. Vous avez vu qu’il est déjà très en retrait par rapport à la marche du club. »
Mais aussi : « Vous avez bien compris que cette situation n’est pas confortable. Maintenant, la partie monégasque de l’actionnariat ne représente que 33 %. S’il y a revente du club, nous avons notre mot à dire. »
Ces derniers mois, plusieurs offres de reprise – saoudienne, américaine – sont arrivées sur le bureau de Dmitry Rybolovlev. Mais l’heure n’est pas encore à la revente.
D’abord, « c’est la guerre ». Samedi 26 janvier, Monaco, 19e de Ligue 1, se déplace à Dijon, 18e. Et mardi 29 janvier, pour ce qui devrait être le 234e match de Leonardo Jardim sur le banc de l’ASM, les Rouge et Blanc reçoivent Guingamp en demi-finales de la Coupe de la Ligue, dernière chance de trophée du club cette saison.