« Black Earth Rising » : Netflix rouvre le dossier rwandais
« Black Earth Rising » : Netflix rouvre le dossier rwandais
Par Martine Delahaye
Cette ambitieuse série s’interroge sur le symptôme d’une culpabilité collective autour du génocide de 1994.
Hugo Blick a le don, ou plutôt le courage, de s’attaquer aux sujets les plus épineux, voire les plus controversés. The Honourable Woman (2014), sa minisérie écrite et réalisée pour la BBC et Sundance TV, s’appuyait vaillamment sur l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Black Earth Rising, la nouvelle série que ce Britannique a écrite, produite et réalisée pour la BBC et Netflix en dehors du Royaume-Uni, ouvre plus grand encore son champ d’investigation. L’auteur s’intéresse, cette fois, aux soubassements de la Cour pénale internationale (CPI) et au regard condescendant que l’Occident peut porter sur l’Afrique.
Hugo Blick a expliqué à la BBC ce qui l’avait poussé vers cette thématique. Tout commence par les recherches qu’il mène sur les procès de Nuremberg, en amont de l’écriture de The Honourable Woman. Ce qui l’amène à rechercher la façon dont les criminels de guerre sont jugés de nos jours, et donc à la création de la CPI.
A son grand étonnement, il découvre alors, explique-t-il, que la plupart des accusés devant cette juridiction sont Africains. Notamment des responsables hutu du génocide rwandais de 1994, mais aussi, ce qui l’intrigue au plus haut point, des Tutsi qui, tout au contraire, se sont battus pour mettre fin au massacre. « Je voulais comprendre pourquoi et “les méchants” et les “héros” étaient poursuivis, a-t-il précisé. Et, plus j’y regardais, plus il me fallait creuser. »
Dramaturgie sans cesse sous haute tension
Black Earth Rising s’intéresse ainsi au colonialisme, aux contradictions apparentes du postcolonialisme (aide et exploitation, morale et condescendance), au double jeu secret de la France et à la realpolitik américaine, le Royaume-Uni n’étant égratigné, au bout du compte, qu’à la mesure de son pragmatisme. Son créateur contrebalance ses attaques et ses plaidoiries au travers de personnages puissants et attachants, de ressorts particulièrement complexes et d’une dramaturgie sans cesse sous haute tension.
Mieux vaut savoir, pour autant, qu’Hugo Blick prend le risque d’engager le spectateur dans une profonde perplexité pendant une bonne partie de la série – avant de tout éclaircir, en tout cas autant qu’il le peut, lors des deux derniers épisodes. Black Earth Rising n’a pas seulement pour toile de fond le génocide rwandais de 1994 – ce massacre de plus de 800 000 Tutsi et Hutu modérés, en cent jours, par des milices hutu, n’y est représenté que sous forme de courtes séquences d’animation.
Le spectre temporel de la série embrasse tout autant les répercussions de ce génocide, dont les représailles et les massacres de masse qui s’ensuivirent au Zaïre voisin, bientôt devenu République démocratique du Congo. Ce fond historique donne lieu à de nombreux échanges entre personnages, pour la clarté de l’intrigue, mais cela signifie que Black Earth Rising se veut très exigeante en matière d’attention et même de concentration de la part du spectateur. Ce qui ne l’empêche pas de se teinter d’humour par moments.
Ambivalence
Hugo Blick a bâti Black Earth Rising autour d’un pivot émotionnel, Kate Ashby – formidablement incarnée par la créatrice et actrice de la série comique Chewing Gum, la Britannique Michaela Coel. Rescapée du génocide rwandais de 1994 alors qu’elle n’était qu’un bébé, adoptée par une avocate anglaise blanche qui a œuvré en Afrique, Kate, aujourd’hui jeune femme, n’a aucun souvenir de sa prime enfance – en dépit des cicatrices sur son corps –, et souffre de stress post-traumatique.
C’est à travers sa quête d’identité et son voyage vers ses racines que l’on entre, peu à peu, dans les méandres politiques et légaux de Black Earth Rising. D’autant que, lorsque nous la découvrons, Kate est d’ores et déjà engagée en tant qu’enquêtrice au sein du cabinet de Michael Ennis (l’excellent John Goodman), un juriste américain basé à Londres, ami de longue date de sa mère et spécialisé dans les crimes de guerre.
L’ambivalence prédomine, au terme de Black Earth Rising. Qu’un auteur se saisisse d’un tel sujet, sans se contenter du parcours d’un personnage cheminant vers la révélation inattendue de son identité – ce qui eût pu faire une excellente série, au vu du contexte –, ne peut être que salué. En construisant un drame aussi puissant, en refusant de céder à la « facilité » de l’apitoiement ou de la colère pour seule tonalité, Hugo Blick signe un remarquable travail.
Sa série risque malgré tout d’en abandonner plus d’un en chemin, de par la complexité même dont il a tenu à rendre compte. Mais, à nos yeux, la performance des deux acteurs principaux notamment, Michaela Coel et John Goodman, permet d’oublier dans l’instant les quelques lourdeurs que le propos peut avoir par moments.
Black Earth Rising | Bande-annonce officielle | Netflix
Durée : 01:57
« Black Earth Rising », série créée par Hugo Blick. Avec Michaela Coel, John Goodman, Tamara Tunie, Noma Dumezweni, Harriet Walter (Royaume-Uni, 2018, 8 × 60 min). Netflix.com/fr