Danse : Benjamin Millepied, tout pour la musique
Danse : Benjamin Millepied, tout pour la musique
Par Rosita Boisseau
Le chorégraphe présente à Paris un spectacle de trois pièces où Steve Reich rencontre Bach.
Elle file vite, change d’avis sec, saute haut, se jette au sol d’un coup et rejaillit sans prévenir. La danse de Benjamin Millepied possède une qualité : elle remet dans le droit-fil de la vie sa course aux émotions, aussi conflictuelles soient-elles, et l’urgence d’en profiter. Elle raccorde aussi la virtuosité à la simplicité en parlant direct au corps de chacun.
Pour son troisième passage depuis 2016 au Théâtre des Champs-Elysées, avec sa compagnie, le L.A. Dance Project, Benjamin Millepied a conçu un programme total Millepied. Une première pour le chorégraphe porté au compagnonnage artistique qui jongle généralement avec les invitations et les signatures, d’Ohad Naharin à William Forsythe en passant par Sidi Larbi Cherkaoui, dans des soirées kaléidoscopes.
Le menu composé pour le festival Transcendanses compacte trois pièces de Milllepied dans une armature musicale forte et insolite. Il joue avec l’idée du concert dansé jusqu’à laisser la place pendant près de vingt minutes à quatre instrumentistes live (deux violons, un alto et un violoncelle) interprétant des morceaux électriques de John Adams.
Le choix des partitions opéré par Millepied, dont on sait combien la musique impulse le mouvement, est composite. Le résultat est une marqueterie réussie de cinq compositeurs, dont Steve Reich et Bach, qui dominent le programme. Millepied veut-il en faire voir de toutes les couleurs à la danse ? Sans doute, et ça marche. En noir et blanc, Homeward, pour six danseurs, sur du Bryce Dessner interprété par le quatuor à cordes, mitraille images-vidéo et corps sous tension. Ces dix minutes de tourbillon fouetté par les salves sèches de la musique ouvrent la soirée, qui se conclut dans une effusion délirante également en noir et blanc. Sur la Passacaille en ut mineur pour orgue de Bach, Millepied active la pédale de la grandiloquence sans que la chorégraphie – il faut tout de même oser l’orgue ! – y laisse trop de plumes.
La force de l’écriture de Benjamin Millepied est de ne jamais se ressembler. Ses métamorphoses permanentes, ses sautes d’humeur sont pour beaucoup dans sa capacité à retenir l’œil. Rapide le plus souvent, légère et bondissante, sa gestuelle volubile se veut multiple, insaisissable, libre. Classique d’abord, hip-hop parfois, jazzy aussi, touffue toujours, elle fait feu de tous les styles, les rythmes. Impossible de la piéger dans une seule couleur tant elle vire de registre d’un coup d’épaule ou de genou.
Casser le moule
Il y a du swing de comédie musicale à la Jerome Robbins dans le road-trip Orpheus Highway, relecture du mythe d’Orphée et Euridyce, sur le Triple Quartet de Steve Reich. Un film réalisé par Millepied se superpose à la scène dans un feuilleté d’images où l’on voit les mêmes neuf danseurs dans des situations similaires. Variations de plans, d’échelles, palette pop pour gueule d’atmosphère, Orpheus Highway tient les promesses de sa virée en eaux mythologiques.
La versatilité de la danse de Benjamin Millepied, emportée par le tourniquet des interférences entre soli, duos et groupes, fait passer la virtuosité comme une lettre à la poste. Il y a toujours quelque chose qui s’échappe dans le mouvement, une tête, des fesses, pour casser le moule en rétablissant une spontanéité, un frémissement dans l’instant.
Laboratoire émotionnel, la pièce Bach Studies (part 2), pour douze interprètes, ralentit le tempo pour se risquer dans des zones de rêve, de douceur. Comme les sensations se dégomment les unes les autres, la chorégraphie court après la fragilité dans un fouillis savant de gestes contradictoires.
Au cœur de la toile, le pas de deux se distingue toujours chez Millepied. Entre bouée de sauvetage, étreinte de passage, valse d’un soir, le jeu de l’amour revu par la danse fait grimper au rideau. Planer comme un avion sur le dos de son partenaire ou tirebouchonner du sol au plafond donne de l’élan aux sentiments. Quant à trouver une respiration commune dans ce chahut gestuel, les douze interprètes, tous impeccables, du L.A. Dance Project, l’ont comme par magie.
Création de Benjamin Millepied par Los Angeles Dance Project
Durée : 00:23
L.A. Dance Project. Benjamin Millepied. Transcendanses. Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e. De 15 € à 110 €. Jusqu’au 1er février, à 20 heures.