Malgré sa domination en termes d’abonnés (140 millions à travers le monde), Netflix gagne encore peu d’argent (1,2 milliard de bénéfices net en 2018, pour 8 milliards investis dans les contenus). / ELISE AMENDOLA / AP

Si les écrans plats ont encore de beaux jours devant eux, la vidéo à la demande (VOD) et particulièrement celle sur abonnement est en train de révolutionner les habitudes de consommation, notamment chez les 15-34 ans. C’est ce que révèle le baromètre annuel Harris Interactive de la SVOD (sigle de l’anglais subscription video on demand), publié mercredi 30 janvier, qui dresse l’état des lieux de cinq plates-formes opérationnelles en France : Netflix, Amazon Prime, OCS, CanalPlay et SFR Play.

S’il confirme la position ultra-dominante de Netflix, avec + 10 % de part de marché en un an, il note toutefois une progression notable de son concurrent le plus direct, Amazon Prime, passé de la quatrième à la deuxième place du baromètre. Plus intéressant, il met en évidence une installation des usages (sessions de visionnage régulières et longues) ainsi qu’une adhésion profonde et durable au modèle de l’abonnement autour de 10 euros mensuels (aligné sur celui des plates-formes de musique en streaming, comme Deezer et Spotify).

Sans surprise, le quart de la consommation de SVOD se concentre sur une cinquantaine de programmes seulement. Plus étonnant, certains titres vedettes font preuve d’une longévité impressionnante : La Casa de Papel (production originale Netflix) est ainsi restée quinze semaines en tête du top de la SVOD établi par Harris. Plus largement, ce sont les séries exclusives qui tirent l’audience : 13 Reasons Why, La Casa de Papel, Orange is the New Black (toutes les trois sur Netflix), The Walking Dead (OCS) sont les œuvres les plus visionnées en 2018.

Concurrence en prime time

Plus qu’une offre alternative, la SVOD s’impose comme un nouveau concurrent de la TNT. Les deux tiers du visionnage de SVOD ont lieu en prime time (entre 21 heures et 23 heures), ce qui fait de la SVOD la quatrième ou cinquième « chaîne » la plus regardée chaque soir après les poids lourds que sont toujours TF1, M6 ou France Télévisions.

Le baromètre met par ailleurs en évidence une différence majeure de publics : les consommateurs de SVOD sont essentiellement des 15-34 ans (63 %), presque l’exact inverse des consommateurs de télévision linéaire, composés à 64 % de plus de 50 ans. Contrairement aux idées reçues, les « millennials » privilégient la télévision pour regarder leurs programmes en SVOD, au détriment des écrans de smartphone ou d’ordinateur. Cette préférence pour l’écran du salon est favorisée par l’apparition de « boutons Netflix » sur la commande, d’« apps » dans les menus et autres innovations rendant la mise en route de ces services rapide et facile.

Cette consommation, désormais profondément installée dans les usages (83 % des personnes interrogées disent qu’être privé de SVOD leur « manquerait ») est tirée par une offre abondante (près de 1 000 titres mis à disposition en un an sur les cinq plates-formes étudiées), un marketing intensif (20 lancements à 2 millions d’euros ou plus en 2018) et qui pallie des manques dans l’offre éditoriale de la télévision linéaire, notamment pour la science-fiction, le fantastique ou les « thrillers ».

De nouveaux entrants

Ce modèle vertueux n’est cependant pas sans limite. Côté qualité, les plates-formes font le grand écart entre une poignée de formidables réussites (les premières saisons de House of Cards, le film Roma d’Alfonso Cuaron, la série Transparent…) et un océan de productions au mieux moyennes, au pire franchement médiocres (Marseille, les dernières saisons de Grace and Frankie, Deutsch-Les-Landes, etc.). Et ces productions originales ne suffisent pas à nourrir le public : Netflix et Amazon Prime continuent de débourser beaucoup d’argent pour des contenus tiers. Ainsi, malgré sa domination en termes d’abonnés (140 millions à travers le monde), Netflix gagne encore peu d’argent (1,2 milliard de bénéfices net en 2018, pour 8 milliards investis dans les contenus) et doit augmenter, peu mais régulièrement, ses prix. A force de monter, celui-ci pourrait à lui seul devenir dissuasif, notamment pour un public jeune. En 2018, un « SVODiste » sur cinq utilisait les codes d’accès d’un autre.

Ce grand écart entre productions haut de gamme, qui concentrent l’essentiel du temps de visionnage, et un catalogue de base médiocre, conçu pour faire du volume et donner une impression de profusion, va pousser les plates-formes à des choix stratégiques : « Elles devront être plus sélectives sur les productions originales, augmenter leurs prix ou alors évoluer vers un modèle mixte, avec de la publicité », explique Karl Fombuena, directeur média et entertainment chez Harris Interactive.

« Les plates-formes de SVOD sont en quelque sorte victimes de leur succès, ajoute-t-il. Les nouveaux entrants, comme Disney, qui va lancer sa propre plate-forme cette année, vont vouloir récupérer certains titres à succès, comme Friends ou la trilogie Star Wars. S’il veut s’y retrouver, le consommateur va peut-être devoir prendre plusieurs abonnements, ce qui, à la longue, reviendra cher. »