« Une intime conviction » : un couple explosif pour défendre un homme
« Une intime conviction » : un couple explosif pour défendre un homme
Par Jacques Mandelbaum
Le film d’Antoine Raimbault s’inspire du procès de Jacques Viguier, accusé du meurtre de sa femme, Suzanne.
Les dossiers de société, les procès retentissants, les faits divers percutants, les grandes et petites manœuvres de la politique font, depuis toujours, les riches heures de la fiction américaine, qui n’hésite jamais à tirer profit d’un scénario efficace, a fortiori quand la réalité lui donne son imprimatur. Moins nombreux, chez nous, sont ceux qui se trempent dans ces eaux troubles, où il y a souvent, eu égard à la délicatesse de ces matières, quelque mauvais coup à prendre.
Il apparaît qu’Antoine Raimbault n’a pas ce genre de timidité. Passionné par le fonctionnement de la justice, il avait déjà réalisé, en 2014, un court-métrage (Vos violences) dans lequel l’avocat Eric Dupond-Moretti jouait précisément le rôle d’un avocat victime d’une agression, dès lors partagé entre sa détermination à confondre un coupable et son respect de la présomption d’innocence.
Pure fiction, ce film annonçait le premier long du jeune auteur, Une intime conviction, adapté pour le coup d’une véritable affaire, celle de la disparition, en 2000, de Suzanne Viguier, et de l’odyssée judiciaire vécue depuis lors, pendant dix ans, par son mari, Jacques, par ailleurs lui-même professeur de droit.
Deux procès
Soupçonné par la justice du meurtre de sa femme, qui s’apprêtait visiblement à demander le divorce et entretenait une relation extraconjugale avec Olivier Durandet, Jacques Viguier est placé en détention provisoire, puis libéré. Deux camps se forment dès lors de manière irrévocable entre ceux qui croient en sa culpabilité (Olivier Durandet en tête) et ceux qui croient en son innocence (ses trois enfants au premier chef). Un premier procès a lieu en 2009 à Toulouse, au terme duquel, en l’absence de preuves, de corps et d’aveux, Jacques Viguier est acquitté.
Le parquet fait pourtant appel, et le 2 mars 2010, un nouveau procès s’ouvre à Albi. C’est ici que commence le film d’Antoine Raimbault, qui se déploie sur deux plans. Film de procès ici, avec sa dramaturgie propre (témoignages contradictoires, rebondissements, art rhétorique des plaidoiries, suspense du verdict). Film d’enquête et de coulisse là, avec l’introduction d’un personnage de fiction en la personne de Nora.
Interprété par Marina Foïs, ce personnage de mère célibataire est censé avoir été jurée au premier procès de Jacques Viguier et s’être convaincue de son innocence au point de consacrer tout son temps à la démonstration de cette preuve, au point de mettre en danger sa vie intime et professionnelle. C’est elle qui va convaincre Eric Dupond-Moretti – qu’on retrouve donc ici mais cette fois sous les traits d’Olivier Gourmet – de s’engager dans la défense de Jacques Viguier. Leur relation – plus que les débats de prétoire, plus que la personnalité du prévenu réduite à un accablement silencieux, plus que l’accusation même – est au cœur du film. Un cœur à la fois romanesque et philosophique.
Car le couple, a priori orienté vers le même but, se révèle explosif. La passion viscérale de Nora, persuadée de la vérité qu’elle défend en même temps qu’elle devient enragée par elle, trouve en l’avocat tempétueux un homme campé sur la déontologie de son métier, qui est de faire prévaloir, face à la machine institutionnelle, le doute en l’absence de preuves. L’histoire du film pourrait ainsi se lire comme la nécessaire mise à distance par le réalisateur de sa propre subjectivité devant cette affaire. Les personnages de Nora et de Dupond-Moretti incarnant dans cette perspective les pôles antagonistes néanmoins garants de l’élaboration artistique du fait divers.
UNE INTIME CONVICTION Bande Annonce (2019) Judiciaire, Film Français
Durée : 02:16
Film français d’Antoine Raimbault. Avec Marina Foïs, Olivier Gourmet, Laurent Lucas, Jean Benguigui (1 h 50). Sur le Web : distribution.memento-films.com/film/infos/94