Antonio Guterres : « Un vent d’espoir souffle en Afrique »
Antonio Guterres : « Un vent d’espoir souffle en Afrique »
Propos recueillis par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante)
Le secrétaire général de l’ONU se réjouit des accords de paix dans la Corne de l’Afrique, des négociations en cours en Centrafrique et des élections sans violences en RDC, à Madagascar et au Mali.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, le 9 juillet 2018. / Tiksa Negeri / REUTERS
Les chefs d’Etat et de gouvernement africains se réunissent à Addis-Abeba (Ethiopie), dimanche 10 février, pour le 32e sommet de l’Union africaine (UA). Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, fera le déplacement pour encourager « le vent d’espoir » que représentent les récents accords de paix signés dans la Corne de l’Afrique. Mais les défis pour le continent restent nombreux, explique-t-il au Monde Afrique.
Le président congolais, Félix Tshisekedi, a été élu dans des conditions contestées par de nombreux observateurs. L’ONU a réagi de manière très mesurée à cette élection. Qu’attendez-vous de ce nouveau président ?
Antonio Guterres Nous attendons naturellement un service dévoué à la cause du peuple congolais, qui a beaucoup souffert et souffre encore. Regardez ce qui se passe dans l’est du pays, avec tous ces groupes armés, les violences contre les femmes et les enfants, Ebola… Il faudra un gouvernement inclusif, capable de rallier tous les Congolais et de créer les conditions pour que le pays puisse surmonter les difficultés politiques, économiques, sociales, et puisse trouver une stabilité qui permette de trouver une solution aux problèmes du pays.
Indépendamment de ce qui s’est passé, il y a aujourd’hui une situation établie et il faut à mon avis coopérer avec la République démocratique du Congo (RDC) pour l’aider à sortir des difficultés énormes qu’elle connaît encore. Vous dites que nous avons été mesurés. C’est vrai. Nous n’avions pas d’agenda. Notre agenda, c’est la paix, la sécurité et le bien-être du peuple congolais. Et j’espère que les voisins de la RDC pourront donner à la région des Grands Lacs, avec les richesses énormes qu’elle possède, un avenir de paix et de prospérité qui puisse avoir un impact positif en Afrique.
Le président sortant, Joseph Kabila, souhaitait le départ de la mission de l’ONU. Quels types de signaux espérez-vous du nouveau président ? La Monusco doit-elle rester en RDC ?
Nous avons déjà entamé un dialogue avec le nouveau président. Je crois qu’il y a une volonté mutuelle de coopération. Il faudra éventuellement revoir le dispositif qui existe en RDC. Les grands problèmes qui se posent sont surtout dans l’est, mais ce serait une illusion de penser qu’on pourrait rapidement fermer la mission. Il y a encore du travail à faire, en étroite coopération avec les autorités et le peuple congolais.
Cela va faire deux ans que deux experts de l’ONU ont été assassinés dans la région du Kasaï. De nombreux rapports ont évoqué la responsabilité de l’Etat congolais dans ces assassinats, et pourtant l’ONU a laissé à Kinshasa la responsabilité de gérer cette enquête. Pourquoi ?
Nous avons obtenu du gouvernement congolais l’intégration d’éléments indépendants internationaux, comme l’expert Robert Petit, dans le système d’investigation. C’est vrai que Robert Petit a déjà fait plusieurs fois référence au fait que la coopération avec les autorités congolaises n’était pas suffisamment positive, et j’espère que le climat créé par les élections pourra aider à un engagement plus fort de la justice congolaise pour que les coupables soient effectivement trouvés et punis.
En Centrafrique, un accord de paix négocié à Khartoum sous l’égide de l’UA et de l’ONU doit être signé. Les experts l’estiment trop faible, avec de nombreuses zones d’ombre, notamment sur l’amnistie des groupes armés…
L’accord ne prévoit pas l’amnistie des groupes armés, l’impunité ne doit pas exister. Il prévoit un mécanisme similaire à ceux déjà établis dans d’autres pays pour déterminer la vérité et pour créer les conditions de justice et de réconciliation. J’espère que ces mécanismes fonctionneront en Centrafrique.
En quoi cet accord peut-il stabiliser le pays et qu’a-t-il de différent des précédents accords de paix, qui ont tous échoué ?
Il y a à mon avis une chose très importante : l’engagement des pays voisins. On voit le Soudan, le Tchad, la RDC, le Cameroun, tous fortement engagés pour que cet accord puisse triompher. La Centrafrique est extrêmement fragile, la présence de l’Etat dans le pays est très réduite, les groupes armés sont d’une très grande diversité. La concrétisation de cet accord ne sera pas facile, mais il y a un engagement des voisins et des institutions africaines et internationales qui correspond au vent d’espoir qui souffle en Afrique. Je crois que les gens sont de plus en plus convaincus qu’il faut en finir avec ces conflits qui empêchent le développement du continent, le respect des droits humains, et qui font terriblement souffrir les populations.
Vous parlez de « vent d’espoir » en Afrique. Quelles avancées y a-t-il eu en 2018 ?
En général, on parle des choses négatives. Mais voyez les accords entre l’Ethiopie et l’Erythrée d’une part, entre l’Erythrée et la Somalie d’autre part, et maintenant les négociations entre l’Erythrée et Djibouti. Voyez l’accord entre Salva Kiir et Riek Machar, finalement possible au Soudan du Sud, même s’il y a encore un long chemin à parcourir. Voyez ces élections où l’on s’attendait à des problèmes terribles, comme en RDC, à Madagascar ou au Mali. Même s’il y a eu des divergences, les perdants se sont comportés positivement vis-à-vis des structures constitutionnelles des pays et sans violences. Et nous, Nations unies, en étroite coopération avec l’UA et les organisations sous-régionales d’Afrique, sommes déterminés à faire que ce vent d’espoir puisse se répandre à travers tout le continent, qui mérite la paix pour pouvoir donner à ses citoyens les bénéfices du développement.
Mais l’année 2018 a aussi été marquée par la multiplication des attaques terroristes. Et les discussions entre l’ONU et l’UA concernant le financement d’opérations militaires de contre-terrorisme menées par les soldats de pays africains, comme la Force conjointe du G5 Sahel [qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad], n’ont pas abouti.
Il n’y a malheureusement pas d’unanimité au Conseil de sécurité pour garantir à ces forces africaines, qui ne sont pas des forces de maintien de la paix mais des forces d’imposition de la paix et de lutte contre le terrorisme, un mandat clair et fort et un financement prévisible et garanti. L’expansion des zones d’influence des groupes terroristes et de leur capacité d’action exige des mécanismes bien plus forts de combat du terrorisme. A mon avis, le seul moyen de le faire de manière effective, c’est avec des forces africaines fortement appuyées par la communauté internationale. Nous n’avons pas encore sur le terrain de dispositif efficace pour combattre le terrorisme et, en même temps, il faudrait un engagement bien plus fort de la communauté internationale pour financer des programmes de développement, en solidarité avec le Sahel mais aussi d’autres régions africaines.
Le Rwanda commémorera en avril les 25 ans du génocide. Quelles traces et quelles leçons ce génocide a-t-il laissé à l’organisation ?
Je ne dirais pas « commémorer », je dirais « revivre » ce moment tragique… Je crois qu’il faut rendre hommage au peuple rwandais, qui a réussi à surmonter cette chose affreuse et à créer des conditions qui ont permis au pays de se développer rapidement, avec un progrès économique et social presque unique en Afrique.
Vous rendrez-vous sur place ?
Je n’irai pas au Rwanda à ce moment-là, mais je vais rencontrer le président Kagame, qui est encore le président de l’UA, à Addis-Abeba. Nous voyons que les risques de génocide persistent. Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé au Rwanda, comme il ne faut pas oublier l’Holocauste et d’autres moments tragiques de l’histoire de l’humanité.