Emmanuel Macron, à Etang-sur-Arroux (Saône-et-Loire), le 7 février 2019. / LAURENCE GEAI POUR "LE MONDE"

Les six heures et quarante-cinq minutes de Grand-Bourgtheroulde (Eure), six heures quarante de Souillac (Lot), trois heures de Bourg-de-Péage (Drôme), sept heures de l’Elysée avec les élus d’outre-mer, six heures d’Evry-Courcouronnes, quatre heures et demie d’Etang-sur-Arroux (Saône-et-Loire), tout cela retransmis en direct sur les chaînes d’information en continu. Le « Macron tour » a de quoi en énerver plus d’un dans les rangs de l’opposition. « Emmanuel Macron a épuisé son temps de parole médiatique jusqu’à la présidentielle de 2027 », grince Manuel Bompard, numéro deux de la liste de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes du 26 mai.

L’irritation est d’autant plus sensible que l’« opération grand débat » commence, semble-t-il, à porter ses fruits après la dégringolade enregistrée par le président de la République depuis l’été 2018. Selon le dernier tableau de bord mensuel IFOP-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio, diffusé mardi 5 février, l’approbation du chef de l’Etat progresse de 6 points, à 34 %, après une remontée de 5 points le mois précédent. M. Macron retrouve un niveau de satisfaction supérieur à celui d’octobre 2018, avant le déclenchement de la crise des « gilets jaunes ».

A droite, on critique vertement « une campagne qui ne dit pas son nom ». « C’est scandaleux d’avoir trois chaînes d’infos qui diffusent cinq à six heures de monologue du président de la République à chaque fois, s’insurge le député de Seine-et-Marne Christian Jacob, président du groupe Les Républicains (LR) de l’Assemblée nationale, qui songe à saisir le CSA. Il s’agit ni plus ni moins que d’un temps de parole qui devrait être comptabilisé pour La République en marche. »

« Qui fait le travail du président pendant ce temps-là ? »

Secrétaire général délégué de LR, Geoffroy Didier déplore que le président « transforme le débat en monologue et en meeting de campagne quasi quotidien. L’esprit du grand débat était de donner la parole aux Français mais le président la confisque. C’est un détournement de l’objet du débat ». Julien Aubert, député (LR) de Vaucluse, s’interroge : « Qui fait le travail du président pendant ce temps-là ? C’est sans doute l’animateur de débat le mieux payé de ces dernières années. »

La gauche n’est pas en reste et dénonce, elle aussi, « une opération de communication » du chef de l’Etat. A commencer par Jean-Luc Mélenchon. Selon le président du groupe LFI de l’Assemblée nationale, « le grand débat est une supercherie », « un grand bla-bla » qu’il n’a « pas l’intention de cautionner » et qu’il qualifie d’« attitude monarchique ».

« Aujourd’hui, le grand débat national, c’est une campagne électorale déguisée, ce sont des meetings politiques, estime pour sa part Adrien Quatennens, député (LFI) du Nord. Il faut que le CSA et la commission des comptes de campagne s’intéressent à ce qui est en train de se passer. »

Si le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, entend prendre part au débat, c’est « sans être dupe des intentions du pouvoir ». « Nous participons au grand débat pour peser sur son issue, assure le député de Seine-et-Marne. Nous voulons une conférence sociale qui permette de négocier les réponses qui seront données. Les partenaires sociaux ne peuvent pas continuer à être contournés comme aujourd’hui. »

Yannick Jadot, tête de liste EELV pour les élections européennes, partage cette analyse mais reste prudent sur les finalités de cette initiative. « Le grand débat doit prendre toute sa place. Les Français doivent renouer le dialogue, a-t-il estimé sur BFM-TV. Le président en fait beaucoup, il ne faudrait pas qu’il s’inscrive déjà dans la campagne de 2022. »

Position pas facile à tenir

A l’Elysée, on assure que M. Macron ne cherche pas à monopoliser la parole lors de ses rencontres avec les élus ou les Français. « Le président est dans une position d’écoute, il passe la moitié du temps de ses débats à écouter », assure un de ses conseillers, chronomètre en main. Mais, reconnaît-on, la position n’est pas facile à tenir tant les élus ou les Français lui posent de questions lors de ces échanges. « Ne pas leur répondre pourrait être perçu comme une forme de mépris, donc le président répond », reconnaît une proche.

D’autres mettent en avant la nature des institutions pour expliquer l’omniprésence du président lors de ces rencontres. « La Ve République est conçue de telle manière que tous les regards se tournent vers lui, sur tous les sujets, explique-t-on à l’Elysée. Dans un débat, le président est l’élément centripète. Les gens lui posent des questions et attendent des réponses parce qu’il incarne l’Etat. »

Pas question, toutefois, de laisser dire que M. Macron aurait engagé sans le dire la campagne pour les élections européennes. « Dire que le président est en campagne est un fantasme de l’opposition et des journalistes, s’agace une proche du chef de l’Etat. Le président a une vision très précise du chemin où il veut aller avec le grand débat. Cela n’a rien à voir avec une campagne, où tout est improvisé au dernier moment. On n’est pas du tout dans le “tout feu tout flamme” de 2017. » Malgré les protestations de l’opposition, il reste encore cinq semaines de débats au président pour retrouver l’étincelle…

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