En Gironde, les débuts mitigés du grand débat
En Gironde, les débuts mitigés du grand débat
Par Claire Mayer (Correspondante à Bordeaux)
Dans plusieurs communes autour de Bordeaux, citoyens et élus locaux ne sont pas unanimes sur l’initiative d’Emmanuel Macron.
Si le débat national interroge et attise la curiosité, il est loin de faire l’unanimité en Gironde, un département où les « gilets jaunes » se mobilisent fortement depuis le début du mouvement. Dans plusieurs communes autour de Bordeaux, des Français doutent de l’utilité de cette opération.
D’abord parce que certains estiment qu’ils s’étaient déjà organisés pour discuter entre eux bien avant la lettre du président de la République. Ainsi, à Sainte-Eulalie, les mobilisés débattent déjà toutes les semaines en assemblée générale. A Loupiac, dans le sud de la Gironde, la mairie ouvre une salle de 300 places pour accueillir tous les mercredis soir une réunion. Tous les habitants peuvent y prendre part. « C’est une façon de contourner le grand débat, estime Guillaume, plutôt critique sur l’opération présidentielle. Emmanuel Macron utilise les fonds publics pour financer sa campagne pour les européennes. » Ce chef d’entreprise s’interroge quand même sur sa participation : « Pour moi, ça ne résoudra pas le problème de fond. Mais pourquoi ne pas y prendre part pour que les sujets s’ouvrent un peu plus… » Dans certaines communes, d’autres habitants se plaignent du manque d’informations sur les grands débats organisés. Le site Internet ne les recense pas toutes, la carte interactive est défaillante…
« Questions fermées »
Des élus locaux, souvent appartenant à des partis opposés à M. Macron, se montrent tout aussi sévères vis-à-vis de l’initiative de M. Macron. L’implication du maire dans le débat n’est pas au goût d’Andrea Kiss, du mouvement Génération.s. « Ce n’est pas à moi d’être le supplétif du gouvernement actuel pour organiser un débat, les députés locaux LRM n’ont qu’à le faire s’ils le souhaitent », affirme la maire du Haillan, commune de Bordeaux Métropole, avant d’accuser l’exécutif : « Depuis le début de son mandat, on a eu un président et un gouvernement qui n’ont cessé de critiquer les élus locaux, et tout d’un coup, on s’est souvenu de notre existence. Dans ma commune, les citoyens s’expriment tout au long de l’année. Si on nous avait demandé notre avis sur ce que sont les problèmes des Français, nous aurions pu l’exprimer. »
Andréa Kiss n’organisera pas de débat, mais confiera les clés de la salle si quelqu’un en fait la demande. Tout comme elle, Bruno Marty, maire PS de La Réole, commune rurale près de Langon, ne souhaite pas prendre part au débat. « Je laisse une salle libre si quelqu’un veut l’organiser. En milieu rural, nous avons des citoyens qui souffrent beaucoup, avec de petites retraites. Nous sommes dans la couronne de pauvreté de la métropole. Ce n’est pas forcément ceux qui souffrent le plus qui s’expriment, et peuvent le faire, estime M. Marty. La souffrance, on la connaît, et on la fait remonter depuis longtemps. Les communautés rurales se sentent abandonnées. » Dans ces communes, pour l’instant, rien ne s’organise. « Ceux qui ont manifesté pensent que c’est un débat biaisé, ils ne voient sans doute pas l’intérêt de l’organiser, affirme Bruno Marty. Et je partage cet avis. Je trouve que les questions posées sont assez fermées. »
Un regard critique que ne partagent pas les macronistes. Aziz Skalli, référent du mouvement LRM en Gironde, estime que les débuts sont prometteurs : « La première semaine, on a eu l’impression que très peu de maires allaient y participer, finalement beaucoup de tout bord politique ont organisé ces débats, comme à Libourne ou Mérignac. Le calendrier se remplit. » Pour lui, les élus doivent s’investir dans le projet, car « ce sont eux qui auront à porter les doléances et les futures réformes ».
« Facilitateurs de dialogue »
Il salue également la démarche de certains, comme le député Florent Boudié, qui a constitué un « conseil représentatif » pour conduire le débat avec des représentants de la société civile et de syndicats, des associatifs ou encore des élus locaux. Une approche que partage Clément Rossignol Puech, maire EELV de Bègles, qui a reçu de nombreuses demandes de mise en place du débat. « J’ai proposé à l’assemblée citoyenne béglaise, qui est une structure indépendante de démocratie participative locale, représentée par des citoyens tirés au sort, de co-organiser le débat avec mon équipe. Il était important que ce débat ne soit pas organisé que par le pouvoir politique local, analyse le maire. Nous avons également reçu des courriers de collectifs de “gilets jaunes” que nous allons recevoir pour une coanimation de la soirée. » Ce débat aura lieu le 15 février.
A Saint-Médard-en-Jalles, le maire MoDem, Jacques Mangon, a accueilli l’idée avec enthousiasme. « On ne peut pas sortir d’une crise comme celle-là sans dialoguer, ni essayer de comprendre, déclare-t-il. Nous allons bien sûr y participer, c’est notre rôle d’être des facilitateurs de ce dialogue. Il n’y a pas d’autre alternative que la réussite, on ne peut pas rester dans cet état de crise permanent. » La première réunion a eu lieu le 7 février, autour du thème de la fiscalité.
Notre sélection d’articles pour tout comprendre au grand débat
- Réunion locales, kits méthodologiques, contributions en ligne… tout ce qu’il faut savoir sur le débat national.
- Ce qu’Emmanuel Macron concède et refuse aux « gilets jaunes » dans sa lettre aux Français ; il ouvre la porte au débat sur le référendum d’initiative citoyenne et des baisses d’impôts mais refuse de revenir sur la suppression de l’ISF.
- Comment se passent les réunions ? Le Monde est allé à Colomiers, à Dol-de-Bretagne, à Roubaix, à Boissey-le-Châtel, à Lons-le-Saunier, à Evry et dans beaucoup d’autres villages et métropoles.
- Les Français sont-ils encore capables de faire société ?, l’analyse de Françoise Fressoz
- Pour comprendre pourquoi le cadre du grand débat ne plaît pas à tout le monde, nos explications en vidéo.