Football : après le Mondial russe, les « supporters » africains menacés d’expulsion
Football : après le Mondial russe, les « supporters » africains menacés d’expulsion
Le Monde.fr avec AFP
Près de 12 000 personnes sont restées en Russie après l’expiration du document les autorisant à venir pour la Coupe du monde en 2018.
Lamin, un migrant gambien de 23 ans, à Moscou, le 27 février 2019. / MLADEN ANTONOV / AFP
Dans l’appartement qu’il occupe en banlieue de Moscou, Lamin ne conserve que quelques vêtements et une Bible, apportée dans ses bagages quand il est arrivé en Russie, comme des milliers d’autres Africains, avec un visa de supporter pour le Mondial de football. Près de huit mois après la fin de la compétition, le Gambien de 23 ans vit dans deux pièces avec neuf autres personnes, dont le bébé âgé de quelques semaines d’un couple de Congolais, et cherche à éviter l’expulsion.
Lamin est arrivé avec un « Fan ID », document dispensant les supporters de visa pour passer la frontière. Si la plupart de ses détenteurs sont venus pour les matchs, d’autres comptaient rester et trouver du travail. Certains pensaient demander l’asile politique ou faire de la Russie un tremplin vers l’Europe. Leurs espoirs ont été douchés : le ministère russe de l’intérieur accentue ses efforts pour expulser ces invités indésirables.
Raid de la police
Lamin, dont le nom a été changé à sa demande, explique qu’il a fui un conflit familial dans sa Gambie natale et assure que sa vie est en danger. « J’étais perdu et je n’avais nulle part où aller », raconte-t-il à l’AFP en se remémorant son arrivée à Moscou. Cet ancien étudiant en gestion a finalement bénéficié de l’aide d’un immigré du Liberia qui a partagé avec lui ses repas et trouvé son logement actuel. Cet ami a été expulsé en février après un raid de la police, n’ayant pas de papiers valides.
Lamin craint de subir le même sort, ne disposant que d’un permis de séjour provisoire valide jusqu’à mi-mars : « Je suis terrorisé », dit-il. Avec l’aide du Comité d’assistance civique, une organisation qui travaille avec les réfugiés, il a déposé une demande d’asile, sans grand espoir : en 2017, la Russie n’a accordé ce statut qu’à 33 personnes, selon les chiffres officiels.
Le « Fan ID » était à l’origine valide seulement pendant la période de la Coupe du monde, mais, au vu du succès de la compétition pour l’image du pays, le président Vladimir Poutine a prolongé cette durée jusqu’à fin 2018. Selon le ministère de l’intérieur, près de 12 000 personnes sont restées illégalement en Russie après la fin de ce délai. Elles n’étaient plus que 5 500 en février.
Selon Daniel, qui dirige un centre pour les immigrés à Moscou, la Coupe du monde a amené la plus grande vague d’arrivées depuis l’Afrique qu’il ait vue en dix ans de travail. « Une fois qu’ils se retrouvent ici, ils sont coincés. Ils ne veulent pas retourner dans leurs pays mais ne peuvent pas non plus aller de l’avant », explique à l’AFP le militant associatif, qui ne souhaite pas donner son nom de famille par crainte de représailles : « La plupart des immigrés ne parlent pas russe et, sans cela, les chances de trouver un travail sont très faibles. »
Réseaux de prostitution
C’est le cas de Salomon, 31 ans, venu en Russie pendant le Mondial pour voir jouer son équipe, le Nigeria, avec le projet de rester après la fin de la compétition. « Au Nigeria, il n’y a pas de travail, le climat politique est mauvais, explique cet ingénieur de formation. Je veux juste rester ici pour un temps, pour travailler et gagner assez d’argent pour aller ailleurs. »
D’autres immigrées ont été victimes des réseaux de prostitution, comme Victoria, 22 ans, arrivée du Nigeria lors du Mondial, une connaissance lui ayant conseillé d’étudier en Russie. Une femme est venue la chercher à l’aéroport et l’a emmenée dans un appartement avant de lui demander de se déshabiller. « Ils ont pris mon passeport et mon Fan ID », se souvient la jeune femme.
Après avoir été forcée à se prostituer pendant plusieurs mois, Victoria est entrée en contact avec l’ONG Alternativa et a réussi à s’enfuir. L’organisation, spécialisée dans la lutte contre le trafic d’êtres humains, l’a aidée à obtenir la permission de rester jusqu’à l’été. Victoria, qui a trouvé du travail dans un magasin de réparation de chaussures, confie vouloir rester en Russie : « Pas de façon permanente, mais pour avoir un peu d’argent et ouvrir un commerce quand je retourne au Nigeria. »