Ligue des champions : la chute de la maison « Real »
Ligue des champions : la chute de la maison « Real »
Par Rémi Dupré
Triple tenant du titre, le club madrilène s’est fait éliminer, mardi, par l’Ajax d’Amsterdam, en huitièmes de finale. Comme la fin d’un cycle pressenti, dix mois après le départ de son entraîneur Zinédine Zidane.
Karim Benzema, mardi 5 mars, au Stade Santiago Bernabeu. / GABRIEL BOUYS / AFP
Le scénario était écrit d’avance et Zinédine Zidane en connaissait le dénouement. En voyant « son » Real Madrid se faire piteusement éliminer (défaite 4-1, après une victoire 2-1 à l’aller) par la génération montante de l’Ajax d’Amsterdam, mardi 5 mars, dans son jardin de Santiago Bernabeu, le Français a dû se dire qu’il avait eu raison de quitter, en pleine gloire, son poste d’entraîneur des Merengue, dix mois plus tôt.
Le 31 mai 2018, l’ex-milieu du Real (2001-2006) avait choisi sa sortie, par la grande porte, deux ans avant le terme de son contrat, après avoir raflé neuf titres sur douze possibles, dont un triplé inédit (2016, 2017, 2018) en Ligue des champions.
« Après trois victoires en Ligue des champions, je ne suis pas sûr de pouvoir gagner encore, et moi j’aime gagner, se justifiait Zidane, maître de son agenda. C’est le moment de changer, pour les joueurs aussi. » Parfait connaisseur des arcanes du Real, très proche de son président, Florentino Pérez, le « Sphinx » avait pressenti mieux que personne cette fin de cycle qui se profilait dangereusement.
Vitrine de l’institution Real, deuxième entraîneur le plus primé du club, Zidane savait sa « star » portugaise Cristiano Ronaldo, 33 ans à l’époque, sur le départ, et avait clairement anticipé les difficultés à venir. Machine à gagner sur la scène européenne, la génération des « trentenaires », incarnée par le Croate Luka Modric et l’emblématique capitaine Sergio Ramos pouvait-elle éternellement prolonger son insolent règne ? Depuis janvier 2018 et l’élimination du Real en quarts de finale de Coupe du roi par la modeste équipe de Leganés, « Zizou » sentait bien que le rouleau compresseur n’irait plus aussi loin.
Difficulté à se renouveler
Son intuition était bonne : la saison 2018-2019 aura été celle de son impossible succession, comme le symbole de la chute de la Casa blanca (« maison blanche »), treize fois sacrée en Ligue des champions. Ancien joueur du Real (2000-2005) et ex-entraîneur de la « Castilla » (son équipe réserve), le coach argentin Santiago Solari ne sera pas parvenu à enrayer le déclin de ses stars.
Nommé en octobre 2018, après le limogeage de l’ex-sélectionneur espagnol Julen Lopetegui, Solari a perdu sur tous les tableaux. En cette fin de saison sans titre, son seul objectif est désormais de maintenir son équipe dans le top 4 en Liga, le championnat national, afin d’arracher une qualification pour la prochaine Ligue des champions.
Les deux récents revers lors du Clasico face au FC Barcelone ont scellé l’élimination du Real en demi-finale de la Coupe du roi et son décrochage (à douze points des Blaugrana) en championnat.
La défaite contre l’Ajax a été le coup de grâce : les Merengue n’avaient plus été terrassés à ce stade de la Ligue des champions depuis l’exercice 2009-2010, sous l’ère Manuel Pellegrini. D’où l’ambiance crépusculaire qui régnait à Santiago Bernabeu(« Ci-gît une équipe qui a écrit l’histoire », a titré, en guise d’épitaphe, le quotidien sportif Marca). Ces huit dernières années, les Madrilènes étaient abonnés – au minimum – aux demi-finales, décrochant des titres en cascade (quatre en cinq saisons).
L’absence de Sergio Ramos, sanctionné par l’UEFA après avoir été « sciemment » puni d’un carton jaune à l’aller, n’explique pas à elle seule le fiasco face à l’Ajax. La blessure et sortie précoce du jeune prodige Vinicius Junior (18 ans), trop tendre et esseulé, les errements de l’Allemand Toni Kroos, spectral à Bernabeu, ou la mise à l’écart progressive de cadres, comme Isco et Marcelo, ont traduit les difficultés du Real à se renouveler.
Comme si la transition générationnelle avait du mal à s’effectuer naturellement, les remplaçants Dani Ceballos, Mariano Diaz, Lucas Vazquez ou d’Alvaro Odriozola n’ont jamais semblé pouvoir menacer les titulaires.
« Saison de merde »
Le transfert de la légende Cristiano Ronaldo à la Juventus Turin a également laissé un grand vide au Real. Les statistiques effarantes du Portugais (450 buts inscrits sous les couleurs du Real) devant la cage ont d’ailleurs poussé Luka Modric à vider son sac avant la réception de l’Ajax : « Le club espérait que d’autres joueurs le remplaceraient, que son rôle serait réparti entre les joueurs offensifs. Cristiano a mis 50 buts et on ne peut pas trouver un joueur qui en marque autant. Certains devaient franchir un cap, non pas mettre 50 buts, mais au moins ce qui nous manque, deux ou trois joueurs qui puissent mettre 15-20 buts. Mais on ne les a pas. »
Le Ballon d’or et finaliste malheureux du Mondial 2018 visait directement le Gallois Gareth Bale (15 buts cette saison), placardisé et annoncé sur le départ, et Marco Asensio (7 réalisations), peu en verve. Quant au Français Karim Benzema (20 buts), il pâtit du départ de « CR7 » et se trouve souvent esseulé aux avant-postes.
Soudé sous l’ère Zidane, fonctionnant à l’ego, l’effectif madrilène traverse une zone de turbulences, entre divisions internes, pessimisme et absence de visibilité. « En une semaine, on a tout perdu. Ce n’est pas la fin d’un cycle, a voulu croire le défenseur Dani Carvajal, après la défaite face à l’Ajax. On a encore une marge de progression. Nous devons prendre nos responsabilités et ne pas nous cacher. On fait vraiment une saison de merde. »
L’ombre de José Mourinho
Dans ce contexte électrique, le Real va devoir se réinventer. Une valse de départs est attendue pour le mercato estival. Mais, dans l’immédiat, se pose d’abord la question de l’avenir de Santiago Solari au sein d’un club où le coach est susceptible d’être limogé au moindre accroc.
Grand « consommateur » d’entraîneurs (sept depuis son retour aux commandes en 2009), le président, Florentino Pérez, songe déjà à trouver un successeur à l’Argentin. A la tête du club le plus riche au monde (774 millions d’euros de revenus en 2017-2018 selon le cabinet Deloitte), le magnat des BTP pourrait se tourner vers le Portugais José Mourinho, ex-entraîneur de la « Maison blanche » (2010-2013), avec lequel il a gardé de très bonnes relations.
Sous la pression des socios, qui ont réclamé sa démission mardi, M. Pérez va-t-il rappeler le « Special One »? L’ombre du Lusitanien, limogé en décembre 2018 de Manchester United, plane à nouveau sur le Real. Depuis quelques heures, celui-ci se répand dans les médias pour faire des appels du pied. « Je garde globalement un souvenir fantastique de mon passage à Madrid, a-t-il déclaré, lundi, sur une chaîne de télévision espagnole. Travailler pour le Real a été une expérience unique et différente de toutes celles que j’ai connues. Je n’aurais aucun problème à y revenir. »
Sondé sur un éventuel retour de Mourinho avant la déroute contre l’Ajax, Santiago Solari avait préféré ironiser : « Ce club a toujours eu plus de prétendants que Julia Roberts. Je pense que c’est tout à fait normal. » A la « Maison blanche », le casting est ouvert.