Manifestation contre Emmanuel Macron, le 1er avril 2017, à Marseille. / BORIS HORVAT / AFP

On ne plaisante pas avec l’« usurpation d’identité » ; encore moins lorsqu’il s’agit du potentiel futur président de la République. Mercredi 6 mars, deux hommes étaient jugés devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir usurpé l’identité d’Emmanuel Macron dans des e-mails envoyés le 21 avril 2017, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle. Ce dernier ne s’est pas constitué partie civile. Et personne ne l’a représenté au tribunal.

Le message, « 10 bonnes raisons de ne pas voter pour moi », signé « Emmanuel », était parvenu à une centaine de destinataires depuis l’adresse emmanuel.macron.enmarche@gmail.com. Lequel puisait son inspiration dans un texte titré « 10 bonnes raisons de ne pas voter pour Emmanuel Macron » et publié sur le site Info24, puis adapté à la première personne. Ce même courriel, renvoyé par deux adresses anonymes à des membres de l’équipe du candidat Macron et à des journalistes, invitait à signer une pétition intitulée « Emmanuel Macron, où est passé votre patrimoine ? » sur Damocles, un site anti-Macron et xénophobe.

Emmanuel Macron avait alors déposé plainte contre X et le parquet avait ouvert une enquête dans la foulée. Les investigations avaient rapidement mené vers les deux hommes, entendus ensuite par les services de police, en août et novembre 2017.

Dans la salle d’audience de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, seul l’un des deux prévenus s’est présenté à la barre. Un fervent partisan de François Fillon, de 39 ans qui, au moment des faits présumés, travaillait pour l’association SOS Education à un poste hiérarchique élevé.

« Une réponse du berger à la bergère »

Bras et jambes croisés, l’homme jette parfois un coup d’œil en direction de son avocat, Me Henri de Beauregard, lorsque le président énumère les faits qui lui sont reprochés. C’est lui qui est soupçonné par le tribunal d’avoir commandité l’affaire. D’une part en fournissant à l’autre prévenu, de 34 ans, en période d’essai au sein du même organisme à l’époque, le contenu du courriel à envoyer à une liste de destinataires précise. D’autre part en lui demandant de créer la boîte e-mail litigieuse « de manière anonyme », puis d’envoyer une nouvelle salve de diffusions. D’ailleurs, à la question posée par le tribunal si sa position hiérarchique vis-à-vis de son collègue n’a pas eu d’effet, il admet un timide « oui, peut-être ».

A la barre, l’homme ne nie pas, et s’autorise même un trait d’humour : « Je lui ai demandé de créer cette adresse et de poster ce contenu rigolo », admet-il dans un fort débit de paroles. Et d’ajouter : « C’était à une période où les médias parlaient beaucoup des équipes de Macron réalisant des campagnes téléphoniques non sollicitées. Une réponse du berger à la bergère. Je trouvais ça un peu poil à gratter. »

La définition floue du « délit d’usurpation d’identité »

Pour les avocats de la défense, cette affaire a suscité beaucoup de bruit pour rien, estimant que cette lettre ne pouvait pas être prise au sérieux. Me Henri de Beauregard trouve « navrant que la justice se soit livrée à de tels kilos d’investigations » et dénonce « la servilité absolue du parquet ». « La plainte de M. Macron a été traitée avec une incroyable célérité », surenchérit sa consœur, l’avocate du prévenu absent, Me Margot Bailly.

Tous deux ont souligné la définition floue du « délit d’usurpation d’identité » inscrit dans l’article 226-4-1 du code pénal : « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération. » Alors quid des rubriques de la presse satirique, telles que « Le journal de Carla B » ou « Le journal de Penelope F » dans Le Canard enchaîné ?, s’est interrogé MBeauregard.

La procureure a requis 1 000 euros d’amendes avec sursis pour chacun des prévenus, les deux avocats de la défense ont plaidé la relaxe. En attendant le jugement qui sera rendu le 23 mai, le prévenu qui était présent a sorti de son « tote bag » bleu marine aux motifs de fleurs de lys, le roman La Plaisanterie, de Milan Kundera.