La commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, le 11 mai, à Bruxelles. | THIERRY CHARLIER / AFP

Chez les Amérindiens, quatre est le grand chiffre magique, symbole des saisons, des âges de la vie, des faces d’une pyramide, des montagnes qui dessinent le territoire. A l’inverse, les Chinois fuient le quatre, qui, en mandarin, en coréen et en japonais, se prononce comme le mot « mort ». Beaucoup d’immeubles et d’ascenseurs, à Hong Kong ou à Shanghaï, se passent d’un quatrième étage. Le quatre signifie le chaos.

En matière de concurrence, c’est un peu la même chose. Quatre est un bon chiffre pour les autorités de régulation, le chaos et la mort pour les opérateurs concernés. C’est en tout cas le discours qui flotte depuis quelques années, notamment au-dessus du marché européen des télécommunications. Tout en se gardant bien de se plier à un quelconque chiffre magique, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, a bloqué le passage en Grande-Bretagne de quatre opérateurs de téléphonie mobile à trois. Le hongkongais Hutchison n’épousera pas l’espagnol O2 (filiale de Telefonica).

Les industriels du Vieux Continent accusent ce chiffre quatre de tous leurs maux. C’est parce qu’il y a trop d’acteurs que l’investissement est si faible en Europe, plaidait en ce début d’année le PDG d’Orange, Stéphane Richard, pour justifier son projet de mariage avec Bouygues Telecom. Le raisonnement est simple et imparable : trop de concurrence a pour conséquence guerre des prix, baisse de marge et donc réduction des investissements.

C’est précisément cet argumentaire que la fougueuse commissaire à la concurrence et ses services ont tenté de démonter pour justifier leur décision. Pour elle, le mariage britannique aurait abouti à une baisse des choix et une hausse des prix pour le consommateur, ainsi qu’un ralentissement du déploiement des réseaux. La position dominante du nouveau réseau ne l’aurait pas incité à prendre des risques et à dépenser de l’argent.

Morcellement

Mais, au fond, dans ce débat sur le bon chiffre, l’observateur est victime d’une illusion d’optique. Du point de vue du consommateur, à Paris ou Londres, il y a strictement le même nombre de réseaux concurrents que s’il était à San Francisco ou New York : quatre. Le marché européen des télécommunications n’existe pas. Ce n’est donc pas pour cela que les opérateurs américains investissent deux fois plus que les Européens.

Le vrai problème est le morcellement du Vieux Continent, qui ne permet pas d’amortir les frais sur une base plus large d’abonnés. Quatre opérateurs pour 300 millions d’Américains vivent mieux que quatre pour 60 millions de Français. Et les rares groupes transeuropéens, comme Telefonica ou Vodafone, n’en retirent pas de bénéfices substantiels. Telefonica replie la toile et Orange a préféré abandonner le marché britannique, qui avait pourtant donné son nom à l’ancien France Télécom. En attendant la révolution des réseaux virtuels basés sur le protocole Internet qui faciliteront l’émergence de vrais acteurs unifiés européens, pas sûr que le retour aux oligopoles nationaux par la chasse au « 4 » soit la meilleure médecine pour remédier à leur insuffisance d’investissement.