Le Nanga Parbat , la « montagne tueuse ». / Musaf Zaman Kazmi / AP

C’est l’épilogue que redoutaient les familles et les proches des alpinistes italien et britannique, Daniele Nardi, 42 ans, et Tom Ballard, 29 ans. Alors qu’on était sans nouvelles depuis le 24 février des deux hommes partis à l’assaut du Nanga Parbat (8 126 m) dans le nord du Pakistan, le télescope des membres de l’équipe de grimpeurs espagnols et pakistanais partie à leur recherche depuis le 28 février a détecté, sur les flancs de la montagne, la présence de deux corps dont tout semble indiquer qu’il s’agit de ceux, sans vie, des disparus.

Samedi 9 mars dans l’après-midi, l’ambassadeur d’Italie au Pakistan, Stefano Pontecorvo, a publié sur son compte Twitter un cliché réalisé par Alex Txikon, l’himalayiste basque espagnol leader de la cordée de secours. Issue d’une observation au télescope, la photo figure une zone du redoutable Eperon Mummery, à environ 5 900 m d’altitude. Deux formes, l’une portant une tenue rouge orangé comme celle de Daniele Nardi, l’autre une tenue bleu comme celle de Tom Ballard, gisent, proches l’une de l’autre. On y décèle également la présence de cordes fixes et d’une tente. « Aucune expédition n’a tenté d’emprunter l’éperon Mummery sur le Nanga Parbat depuis au moins trois ans », a de surcroît indiqué au Monde une source pakistanaise. Les circonstances de la mort des deux hommes sont, pour l’heure, inconnues.

Neuvième plus haut sommet de la planète, le Nanga Parbat est surnommé « la montagne tueuse ». Avant Tom Ballard et Daniele Nardi, 72 personnes ont perdu la vie sur ses flancs. Fin janvier 2018, un secours hors norme – opéré conjointement par l’armée de l’air pakistanaise et une cordée polonaise acheminée depuis le camp de base du K2 (8 611 m) – avait permis le sauvetage de l’alpiniste française Elisabeth Revol, 39 ans. Le compagnon d’ascension de cette dernière, Tomek Mackiewicz, 43 ans, avait trouvé la mort au cours de leur redescente du sommet, probablement victime d’un œdème cérébral.

Une obsession, l’ascension hivernale du Nanga Parbat

Karrar Haidri, le secrétaire du club d’alpinisme du Pakistan, montre les photos de Tom Ballard et Daniele Nardi, le 4 mars 2019. / B.K. Bangash / AP

La cordée Ballard-Nardi a emprunté le redoutable éperon Mummery, situé sur le versant du Diamir (face ouest), pour tenter un itinéraire jamais réalisé sur le Nanga Parbat. Himalayiste chevronné, Daniele Nardi avait déjà gravi ce sommet en été – tout comme l’Everest (8 848 m), le Broadpeak (8 047 m), le K2 (8 611 m), le Shishapangma (8 027 m) et le Cho Oyu (8 201 m) – mais la réussite d’une « hivernale » au Nanga Parbat l’obsédait. Cette année 2019 marquait sa cinquième tentative. La première fois, en 2013, en compagnie d’Elisabeth Revol, il n’avait pas dépassé les 6 500 m à cause du froid. En 2014, la météo l’avait cloué au camp de base. En 2015, il avait atteint 7 800 m. Et il avait renoncé en 2016 alors que son compatriote Simone Moro, l’Espagnol Alex Txikon et le Pakistanais Ali Sadpara réalisaient la première hivernale par la voie Kinshofer.

Les cimes aimantaient tout autant Tom Ballard. Sa mère, la célèbre alpiniste écossaise Alison Hargreaves, les lui avait offertes en héritage. Alors qu’elle était enceinte de lui de six mois, elle avait gravi la face nord de l’Eiger (3 970 m) en solitaire. Deuxième femme à avoir réussi l’ascension de l’Everest sans oxygène, en mai 1995, avant de disparaître trois mois plus tard à l’âge de 33 ans dans une tempête, lors de sa redescente du K2, au Pakistan. A l’été 1993, elle avait également gravi les six plus grandes faces nord des Alpes en solo (Grand sommet de Lavaredo, Pizzo Badile, Cervin, Grandes Jorasses, Petit Dru et Eiger), un exploit répété par Tom à l’hiver 2014-2015 et qui constituait une première.

Cordée de secours

Grâce au concours exceptionnel de deux hélicoptères de l’armée de l’air pakistanaise au cours d’une période où l’espace aérien national a été fermé durant plusieurs jours sur fond de vives tensions avec l’Inde voisine autour de la région très disputée du Cachemire, le basque espagnol Alex Txikon – qui tente l’ascension jamais réalisée du K2 en hiver – et d’autres membres de son expédition dont un médecin ont pu être acheminés depuis le camp de base du K2 jusqu’à celui du Nanga Parbat (4 300 m), le 4 mars. Déposé le 28 février, Ali Sadpara les y attendait.

La cordée de secours qu’ils ont formée a pris tous les risques pour retrouver les disparus et a dû composer avec la météo très changeante dans cette région à ces altitudes. Alors que dans un exercice extrême, les pilotes de l’armée pakistanaise se sont hissés jusqu’à 7 000 m pour scruter la paroi, Alex Txikon, Ali Sadpara et un autre grimpeur pakistanais, Dilawar Hussain, sont montés juste au-dessus du camp II (5 100 m), où ils ont dû s’arrêter car la zone était exposée aux avalanches. De là, Alex Txikon a envoyé un drone pour tenter de localiser les disparus. Mais un sérac tombé environ 500 m plus haut a déclenché une avalanche contraignant l’équipe à se replier pour y échapper. Le drone qui s’était écrasé a ensuite pu être récupéré. Las, son deuxième survol, opéré depuis le camp II, n’a donné aucun résultat. Après une autre avalanche provoquée par une autre chute de sérac, les secouristes ont renoncé à s’aventurer sur l’éperon Mummery.

Ce n’est que le 7 mars, en redescendant, à mi-distance entre le camp de base et le camp I, qu’Alex Txikon a décelé à l’aide de son télescope la présence de deux corps un peu en amont du camp III à environ 5 900 m d’altitude. La proximité du camp I et de l’éperon, et le fait que les corps se trouvent derrière un amas rocheux empêchaient jusque-là la macabre découverte. On la doit finalement au recul par rapport à la paroi et à une prise d’angle différente.

Récupération des corps au mieux l’hiver prochain

Le Basque espagnol a alors réalisé plusieurs clichés et vidéos qui révèlent la présence des corps dont la récupération ne pourra, au mieux, être entreprise avant l’hiver prochain. Le Nanga Parbat est en effet particulièrement chargé en neige et les températures, élevées pour la saison, entraînent une multitude d’avalanches et de chutes de sérac dans la zone où ils se situent, entre le camp II et le camp III, ce qui interdit toute mission raisonnable de récupération.

Alex Txikon et son équipe sont redescendus à la base militaire de Skardu d’où des hélicoptères de l’armée pakistanaise devraient les ramener, dimanche 10 mars, au camp de base du K2. Le Basque espagnol espère une fenêtre météo favorable pour atteindre le sommet avant le 21 mars, date officielle de la fin de l’hiver. Pour devenir le premier homme à avoir gravi en cette saison l’unique sommet de 8 000 m qui résiste encore.