« Le Mans, c’est une bataille, un symbole pour tous les forains qui ne se sentent plus considérés »
« Le Mans, c’est une bataille, un symbole pour tous les forains qui ne se sentent plus considérés »
Alors que la ville a été le théâtre lundi d’affrontements violents entre forces de l’ordre et forains, ces derniers font état d’un malaise au sein de leur profession.
Le Mans a été le théâtre, lundi 25 mars, d’une véritable bataille rangée entre les forains et les forces de l’ordre, dans la fumée des incendies et l’âcreté des gaz lacrymogène. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
C’est par une vieille caravane enflammée lancée contre les camionnettes des gendarmes mobiles qu’a débuté, lundi 23 mars au matin au Mans, ce nouveau jour de colère des forains. Entre 300 et 500 manifestants, qui réclament de pouvoir installer leurs attractions en centre-ville quand la municipalité leur propose un terrain en périphérie de l’agglomération, ont investi le cœur de la ville. Casqués et cagoulés, armés de bâtons et de boucliers, les plus virulents ont tenté de se rendre à la mairie, qui a dû être évacuée. S’en est suivie une véritable bataille rangée avec les forces de l’ordre dans la fumée des incendies et l’âcreté des gaz lacrymogène.
Les gendarmes ont fait usage de grenades de désencerclement. « Un manifestant a eu le pied à demi arraché par une explosion », raconte Pauline, une secouriste présente sur place et d’ordinaire affectée aux mobilisations des « gilets jaunes ». A 10 heures, c’était l’autoroute A11 qui était bloquée dans les deux sens, en même temps que la gare.
A midi, ils étaient près de 1 500 forains, venus du Nord, de Bretagne, de Normandie, du Sud-Ouest, à maintenir la ville en état de siège, poussant Stéphane Le Foll, le maire socialiste de la ville, a dénoncé une « violence insurrectionnelle ». « Les syndicalistes du Cidunati [Confédération intersyndicale de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants] ont perdu la raison, insiste M. Le Foll dans un communiqué. Il n’y a plus aucun respect ni des institutions, ni des personnes. L’Etat de droit est directement mis en cause par les syndicalistes. » Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a, lui, condamné « des attaques d’une violence inouïe ».
Un malaise au sein de la profession
A la tête du mouvement, Norman Bruch, Bayonnais et président national du syndicat des forains Cidunati-Artisans de la fête, haranguait la foule depuis une remorque confiserie rose devenue le QG de la mobilisation. Avec l’aide d’un conseiller juridique, le représentant a tenté en vain de négocier auprès de la mairie un nouvel emplacement « en centre-ville mais ailleurs, derrière la cathédrale, à l’écart du parking des Quinconces des Jacobins où le maire ne veut plus de nous ». « Il fallait fermer deux boulevards, le préfet semblait favorable et nous proposions aussi de payer des vigiles pour éviter les débordements », assure-t-il.
Place des Jacobins, devenue lieu du rassemblement, tandis que les femmes préparaient un barbecue avec une cagnotte lancée par des forains locaux, la profession expliquait les raisons d’une colère qui dure depuis plusieurs jours et s’est déjà traduite par de multiples actions, dont une opération escargot, la semaine dernière. Tous évoquent un malaise qui dépasse le cas du Mans.
« Nous déplacer équivaut à nous sacrifier », explique Alvano qui tient une cabane de chouquettes et churros. « Les forains ont déjà pu tester la zone périphérique du Panorama, quand le centre du Mans était en chantier. Pendant cinq ans et malgré des aménagements, leur chiffre d’affaires a chuté de moitié. Et puis la nuit, cette zone peu éclairée n’est pas sûre. » Alvano refuse de perdre la clientèle des personnes âgées, friandes de confiseries mais peu mobiles :
« Deux mois par an au Mans, nous faisons partie du centre-ville, des gens seuls vont et viennent pour connaître un peu de gaieté, s’offrir une douceur sans chercher à grimper dans un manège. Nous ne sommes pas un parc d’attractions avec un ticket d’entrée. »
« On nous fait fuir »
Rorive, 52 ans, tient un manège d’auto-tamponneuses. Il le promène de village en village, dans les fêtes du Douaisis, du Cambraisis et de l’Avesnois, dans les Hauts-de-France. Il évoque des assurances de caravanes aux tarifs exorbitants, ces sommes élevées qu’il faut payer à chaque raccordement à l’électricité, des jetons de manège qu’il brade dans les communes ouvrières. « Le Mans c’est une bataille, un symbole pour tous les forains qui ne se sentent plus considérés. Alors tant pis si Le Foll va s’en prendre plein la gueule. Moi aussi je subis les fantaisies de maires à longueur d’année. Quand certains décident subitement de planter deux arbres, de déplacer le distributeur à billets de quatre mètres, d’ajouter des bancs sans se concerter, c’est sournois et ça change tout. Faute de place, je n’arrive plus à installer mon manège de 25 mètres sur 15. »
Olivier Dumontel, 55 ans, fait partie des soixante-cinq familles présentes chaque année aux deux foires aux manèges du Mans. Lui tient le Palais du rire, une installation de tunnels et de rouleaux en mousse, depuis 25 ans. Ses deux fils ont le permis poids lourd depuis peu et travaillent avec lui :
« Il y a eu des grosses bagarres l’an dernier. La mairie dit qu’on favorise l’insécurité mais elle existe même sans la foire. Ce sont des bandes rivales de cités qui s’affrontent ici et on s’interpose à notre façon pour ne pas que ça dégénère. On nous mettant en périphérie, à une grosse dizaine de kilomètres, le maire ne règle pas du tout le problème de la délinquance de sa commune. »
Rorive dit subir lui aussi, comme forain, l’insécurité. « Dans ma tournée, j’ai deux petites cités. C’est calme mais on n’est pas tranquille. Les gamins restent la nuit jusqu’à 2 heures du matin, même lorsque les manèges sont fermés. Et le matin, je découvre ma bâche lacérée, comme ça, gratuitement. C’est pas n’importe quelle bâche, dessus, il y en a au moins pour 4 000 euros de fresque », rapporte-t-il.
En fin d’après-midi, la mobilisation s’éparpille. Martial, forain normand de 70 ans, est venu avec ses trois fils. Il repart dépité : « J’ai connu une époque où les communes payaient l’essence de nos camions pour nous faire venir. Aujourd’hui, on nous fait fuir. »