Face aux pannes d’électricité, la débrouillardise des Vénézuéliens
Face aux pannes d’électricité, la débrouillardise des Vénézuéliens
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Presque un mois après la première coupure, les habitants organisent leur survie, manifestant sur Twitter leur colère contre le gouvernement.
Un habitant de Caracas utilise la lumière de son téléphone portable pour se diriger dans une rue de la capitale vénézuélienne, paralysée par une panne d’électricité, le 26 mars. / CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS
Mardi 26 mars a pris des allures de dimanche, à Caracas et dans la plupart des villes vénézuéliennes qui ont passé la journée sans électricité. Dans les rues de la capitale presque désertes, les rares voitures circulent au ralenti. Tous les feux rouges sont éteints. La plupart des magasins, des restaurants, des cafés sont restés fermés. Le métro s’est arrêté. Un triste dimanche.
Toute la journée, sur les réseaux sociaux, les Vénézuéliens qui ont réussi à recharger leur téléphone portable informent de l’état du réseau électrique et disent leur impuissance rageuse. « Difficile de savoir ce qu’il y a de pire. Ne pas avoir d’électricité et attendre qu’elle revienne ou en avoir et craindre qu’elle reparte ? », interroge la twitteuse Maria T. Menendez. Les hashtags #sinluz (« sans électricité ») et #apagonrojo (« panne rouge ») se sont fait l’écho d’un pays désespéré.
« Pas eu le temps de se remettre de la panne du 7 mars qu’il faut affronter la suivante », se lamente Mariely Carranza. Très riche en ressources énergétiques (pétrole, gaz et eau) et très mal géré depuis vingt ans, le pays a connu début mars la plus grande coupure d’électricité de son histoire. Attribuée par le gouvernement à un sabotage cybernétique en provenance de l’étranger, cette mégapanne a duré cinq jours.
La nouvelle panne nationale a démarré lundi soir à 21 h 30. Elle a été précédée de coupures partielles. Mardi dans la soirée, plusieurs villes et certains quartiers de Caracas restaient dans l’obscurité. « Les gens qui vivent à l’étranger ne savent pas ce que c’est, a posté Angela Ojeda. Le silence est total, l’obscurité complète. La peur et la terreur s’emparent de chacun d’entre nous, avec une cruauté inimaginable. »
Priés de ne pas tomber malades
Sous les tropiques, les jours sont courts et, à Caracas, les ténèbres font peur. La capitale vénézuélienne arrive en troisième position au classement des villes les plus dangereuses du monde élaboré par le Conseil citoyen pour la sécurité publique, une fondation privée mexicaine. « Il n’y a ni policier, ni agents, ni secours dans les rues de Caracas, s’inquiétait dans la journée le journaliste Rey Mozo. Les gens sont livrés à eux-mêmes. »
Et ils sont priés de ne pas tomber malades. Postée par le site Web El Pitazo, la vidéo de chirurgiens de l’hôpital de Ciudad Ojeda opérant dans le noir à la lueur d’un smartphone l’a rappelé. A l’aéroport de Maiquetia, qui dessert Caracas, les vols internationaux (ils sont rares) ont pu être assurés mardi. Mais les employés ont rédigé à la main les cartes d’embarquement.
Conseils et messages de solidarité circulent aussi sur les réseaux sociaux. Une entreprise de téléphonie demande à ses clients de libérer leur Wi-Fi pour que leurs voisins puissent en profiter. Un supermarché signale qu’il met ses réfrigérateurs au service des gens ayant besoin de garder au frais des médicaments.
Mais le gros des Tweet est fait d’insultes. Hugo Chavez (1999-2013), le président Nicolas Maduro et « toute leur clique d’incapables » sont voués aux gémonies. Les opposants ne doutent pas que les pannes à répétition s’expliquent par le délabrement des infrastructures électriques. Nicolas Maduro, lui, a dénoncé un nouveau sabotage contre les installations du Guri, le barrage qui fournit près de 80 % de l’électricité du pays.
Angela qui vit dans le quartier de Chacao à Caracas se réjouit : « Cette fois, j’ai des réserves d’eau et des conserves de thon. » A 74 ans, il lui coûte de descendre et de remonter à pied les 12 étages de son immeuble quand l’ascenseur ne fonctionne plus. Comme Angela, nombre de Vénézuéliens ont pris leurs précautions. « Nous allons une fois encore déployer notre talent préhistorique pour la survie », résume le compte Tachira Fuerte.
« Ma mère se sent en prison »
Des téléphones portables branchés à un générateur sur une place de Caracas, le 26 mars. / CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS
Les Vénézuéliens ont pris aussi pris leurs habitudes. Ils connaissent désormais les endroits où le signal satellite peut être réceptionné par les téléphones portables en temps de panne générale. Les attroupements de gens et de voitures s’y sont formés dès l’aube mardi matin. « Les gens tentent par tous les moyens de communiquer avec leurs proches qui vivent à l’étranger et qui s’inquiètent terriblement », explique Nicolas, 56 ans. « A Caracas, ma mère se sent en prison, écrit une twitteuse. A Berlin, je suis moi aussi en prison : ne croyez pas qu’en quittant le Venezuela, vous vous libérerez de sa tragédie. »
Plus de trois millions de Vénézuéliens ont pris le chemin de l’exil depuis que l’économie du pays s’est effondrée. Mais l’humour n’a pas disparu. « Je dois avouer qu’écouter mon voisin qui est resté chaviste se plaindre parce qu’on n’a toujours pas d’électricité me remplit de satisfaction », écrit Marigabi Fuchs.
« Les soldats russes sont venus s’entraîner en conditions extrêmes », ironise pour sa part José, faisant référence à l’arrivée samedi de deux avions militaires russes et d’une centaine d’effectifs. Les députés d’opposition ont dénoncé « la présence illégale de troupes étrangères et la violation de la souveraineté nationale ». Moscou a défendu l’envoi de militaires « en toute légalité » dans le cadre des accords de coopération entre les deux pays. Dans la soirée, le procureur a indiqué que six personnes avaient été arrêtées. La vice-présidente Delcy Rodriguez a pour sa part informé que les administrations et les centres éducatifs resteraient fermés vingt-quatre heures de plus. « Vous vous souvenez du ministère du bonheur ? Vous avez son téléphone, SVP ? J’ai une ou deux suggestions à lui faire », poste Mariana Blanco. En 2013, Nicolas Maduro avait annoncé la création d’un « vice-ministre pour le suprême bonheur du peuple ». Il est depuis longtemps tombé dans l’oubli.