« Denis Podalydès, pour l’amour du jeu » : le « verbe incarné »
« Denis Podalydès, pour l’amour du jeu » : le « verbe incarné »
Par Emilie Grangeray
Pour inaugurer sa nouvelle collection d’émissions consacrée à l’art contemporain, France 5 diffuse un portrait du comédien au travail.
Au commencement, il y a sa voix. De surcroît, sa Voix off – pour reprendre le titre de son merveilleux livre (disponible en Folio), sorte d’autoportrait qui lui valut le prix Femina (essai) en 2008. Lui, il dirait – et dira, en guise d’introduction –, qu’avant toute chose, il y a le foot – lire L’Equipe est la première chose qu’il fait le matin. Lui, c’est Denis Podalydès, 505e sociétaire de la Comédie-Française, où il joue actuellement dans Fanny et Alexandre, d’Ingmar Bergman (mise en scène par Julie Deliquet) et dans la reprise des Damnés, de Visconti (dans la mise en scène, devenue culte, d’Ivo van Hove).
Puis la voix se fait corps, et la caméra suit ce petit bonhomme mais immense comédien qui jamais ne s’arrête – d’autant qu’il tourne aussi beaucoup au cinéma, que cela soit pour son frère, Bruno Podalydès, ou pour, entre autres, Arnaud Desplechin, Bertrand Tavernier, François Dupeyron, Michel Deville, Michael Haneke, Xavier Durringer, Noémie Lvovsky, les frères Larrieu.
Direction les Bouffes du Nord, où Denis Podalydès répétait, l’année dernière, Le Triomphe de l’amour, de Marivaux. S’il a choisi de mettre en scène ce texte, c’est, comme il le confiait alors au Monde, parce qu’il a toujours « adoré les jardins du philosophe Hermocrate, que Léonide, travestie en homme sous le nom de Phocion, vient séduire, tromper. Cette princesse fait, comme c’est souvent le cas chez Marivaux, au nom du plus grand bien, le plus grand mal. J’aime cette vision de la progression du sentiment amoureux comme une maladie qui gagne, qui va de symptôme en symptôme, de crise en crise, jusqu’à l’aveu. Et faire naître ces symptômes chez les acteurs m’intéressait ».
Nous sommes à soixante-quatre jours de la première, et Denis Podalydès est au travail, c’est-à-dire en mouvement. On le voit littéralement bondir sur le plateau. Acteur et metteur en scène : Benjamin Lavernhe, génialissime Scapin dans la mise en scène de Podalydès en 2017, dit à quel point ces deux facettes sont parfois intimidantes. Et le comédien de rappeler que Denis, « qui a besoin de se planter pour pouvoir rebondir, a tout changé à quatre jours de la première ! » Que diable allait-il faire dans cette galère !
Une âme d’enfant
Mais tous le répètent : « C’est une tronche, Denis » ; quelqu’un de « superbement intelligent et vif », selon Jérôme Kircher, qui fut son camarade au Conservatoire, où ils eurent pour professeur Jean-Pierre Vincent (qui témoigne ici) et Michel Bouquet avec lequel Podalydès partage le don de l’émerveillement. Pour son ami Eric Ruf, administrateur du Français, Denis Podalydès a su garder une âme d’enfant, de ceux qui aiment encore à jouer au pirate.
Au plaisir évident du jeu s’ajoute chez lui, peut-être plus que chez d’autres, le plaisir de dire le texte, d’explorer ses nuances. Aussi Denis Podalydès alterne travail à la table et sur le plateau. Avant de revenir à la langue, qu’il scrute et gratte. « Denis, c’est le verbe incarné », confie Jérôme Kircher. Au commencement, donc, était le Verbe. La voix donc, toujours et encore. Et c’est en cela que le film de Katia Chapoutier est réussi : il donne à voir et à entendre un homme au travail, qui devrait être le mot d’ordre d’ailleurs de cette nouvelle collection « Influences, une histoire de l’art au présent », imaginée par France 5. Prochains épisodes : Angelin Preljocaj, Pierre et Gilles, Enki Bilal, Yan Pei-Ming.
Denis Podalydès, pour l’amour du jeu, de Katia Chapoutier (Fr., 2018, 52 min). www.francetvpro.fr