Etats-Unis : un chantier bruyant de Manhattan érigé en symbole de la « supergentrification »
Etats-Unis : un chantier bruyant de Manhattan érigé en symbole de la « supergentrification »
Le « New York Times » a recueilli les témoignages d’habitants dont la vie est perturbée par un hôtel particulier en travaux, propriété de l’homme d’affaires français Pierre Bastid.
Aperçu du quartier ouest de Manhattan, dans lequel se déroule le chantier dépeint par le « New York Times ». / SPENCER PLATT / AFP
Depuis un an maintenant, Dorian Gray, le caniche nain de Mme Brown, est sous tranquillisants. Le début de son traitement à la trazodone a débuté en même temps que le chantier de construction qui borde l’appartement de sa maîtresse, dans l’un des nombreux brownstone, ces immeubles en grès rouge historiques du quartier de Manhattan, à New York. La vieille dame, elle, doit porter un imposant casque antibruit dès qu’elle rentre chez elle pour tenter de couvrir le vacarme incessant des marteaux-piqueurs, creusant dans son quartier les fondations d’un hôtel particulier estimé à 100 millions de dollars.
Porté par l’homme d’affaires Pierre Bastid, dont le patrimoine le classe à la 247e place des fortunes françaises, le projet immobilier est devenu un calvaire sonore pour plusieurs dizaines d’habitants des environs, relate pour le New York Times, vendredi 5 avril, le journaliste David Margolick, lui-même dérangé par les travaux. En brossant dans un long article le portrait bruyant d’un banal conflit de voisinage, le quotidien américain érige le chantier en un exemple de la « supergentrification », un phénomène devenu « la vie de tous les jours à New York, où les plus fortunés s’étendent pendant que nous, les autres, devons en subir les conséquences ».
Déménager ou rester sur place
Tous les jours, sauf le week-end et certains jours fériés, les ouvriers creusent, progressant vers les douze mètres de profondeur nécessaires à l’installation d’une piscine intérieure. Un studio d’enregistrement, un cinéma, un Jacuzzi et un sauna rejoindront le bassin de 10 × 3 mètres, dont devraient pouvoir profiter M. Bastid et sa femme, la chanteuse de jazz américano-haïtienne Malou Beauvoir, dans quelques années.
En attendant, plusieurs locataires ont dû déménager pour fuir les nuisances, rapporte le New York Times. Inquiète des antécédents pulmonaires de sa famille, une violoniste a préféré s’éloigner de la poussière rejetée par les travaux. Une avocate, habituée au télétravail, est partie pour pouvoir continuer à se concentrer sur ses dossiers.
D’autres ont décidé de rester sur place, comme Mme Brown ou Nick Jordan, professeur émérite de philosophie de l’université du Queens. « Schopenhauer dit que plus votre tolérance au bruit est haute, plus votre intelligence est basse. Je ne serais pas surpris [de devenir plus stupide] », dit en soupirant l’homme de 80 ans au journaliste.
« Vivre en ville, c’est vivre avec le bruit des travaux »
L’association de riverains du quartier a dû enquêter plusieurs semaines pour découvrir le nom des propriétaires, avant de réussir à les contacter pour se plaindre du déroulement du chantier. Mme Beauvoir a appelé une des habitantes pour lui exprimer ses regrets, avant qu’une lettre de son mari annonce quelques jours plus tard la désignation d’un expert en réduction du bruit et une vigilance renforcée du maître d’ouvrage. Le projet étant mené en toute légalité, aucun recours n’est possible. « Au départ, ils parlaient juste de rassembler deux immeubles en un, et on a juste dit “OK” », témoigne une des plus anciennes habitantes du voisinage au New York Times. « Personne n’avait imaginé qu’ils s’attaqueraient au centre de la terre avec des marteaux-piqueurs. »
L’article mis en ligne a suscité de nombreux commentaires, dont plus de 1 000 sont consultables sur le site du quotidien. Certains lecteurs compatissent ou partagent leur propre expérience. D’autres s’insurgent d’un exemple pris dans l’un des quartiers les plus riches de la métropole américaine, encourageant le journaliste à constater les mêmes problèmes dans des zones de New York plus défavorisées.
« Vivre en ville, c’est vivre avec le bruit des travaux », lâche plus simplement un internaute. Le ton presque poétique et parfois ironique adopté par le journal semble aller dans le même sens, soulignant un combat perdu d’avance et concomitant du développement d’une aussi grande ville. « Nous regrettons profondément ces désagréments », ont déclaré les propriétaires à David Margolick. « Malheureusement, nous savons tous que les chantiers peuvent être désagréables, et à quel point leur déroulement peut être imprévisible. »