« Madame Hyde » : le buisson ardent de la connaissance
« Madame Hyde » : le buisson ardent de la connaissance
Par Jacques Mandelbaum
Serge Bozon relit Robert Louis Stevenson dans un film, entre chronique sociale et conte de fées.
Sortez crayons, règles et compas, tracez deux demi-droites qui se rejoignent sans se couper, l’une partant de L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, de Robert Louis Stevenson (1886), l’autre depuis De bruit et de fureur (1988), film de Jean-Claude Brisseau. Deux chefs-d’œuvre que cent ans séparent, intéressés l’un et l’autre par la question du mal qui ronge le cœur des hommes, scrutant le rapport de l’individu à la société, faisant surgir le fantastique dans le quotidien. Tracez à présent la bissectrice partant du sommet angulaire de ces demi-droites et vous aurez une idée de la direction que prend ce drôle d’objet, si emporté et bizarre, si excentrique et nécessaire, nommé Madame Hyde.
Mme Géquil (Isabelle Huppert) est une professeure de physique close en ses principes mais pusillanime, et donc constamment torturée par sa classe. A la tête de la fronde railleuse, Malik (Adda Senani), adolescent handicapé qui compense sa prostration par une tchatche insolente et étincelante.
Un méchant coup de foudre
A force de se faire humilier, la timide Mme Géquil, tandis qu’elle s’affaire à ses petites expériences de physique dans le conteneur de chantier qui lui tient lieu de laboratoire, finit par se prendre un gros coup de jus, un méchant coup de foudre équivalant à une révolution copernicienne dans le cours du film, qui devient tout simplement magnifique. Il se permet des scènes pédagogiques et intellectuelles en temps réel, qui éloignent paradoxalement du petit théâtre naturaliste de l’école. Autant d’expériences mathématiques (le trajet le plus court entre deux points) ou physiques (la cage de Faraday) qui rappellent aux spectateurs en même temps qu’aux élèves qu’un détour est toujours nécessaire pour une juste représentation des choses, et qu’apprendre à penser est une libération.
Il révèle plus encore l’alchimie secrète de la connaissance, qui renvoie proprement à la mystique. C’est le buisson ardent de la Bible, qui brûle mais ne se consume pas, par lequel la présence divine apparaît à Moïse comme promesse de l’émancipation à venir. La connaissance passe par le feu, ce qui explique qu’on ne saurait non plus la regarder en face sans s’y brûler ou y laisser sa vie. Une idée tolstoïenne qui prétend que nul n’est dépositaire du savoir, que celui-ci nous traverse universellement et nous fonde pour infuser le genre humain tout entier.
Mrs. Hyde / Madame Hyde (2018) - Trailer (English Subs)
Durée : 01:44
Madame Hyde, film français de Serge Bozon. Avec Isabelle Huppert, Romain Duris, José Garcia (1 h 35). www.lesfilmspelleas.com