Domicile-travail, l’autre covoiturage
Domicile-travail, l’autre covoiturage
Par Eric Gibory
Bien installé sur les longues distances entre grandes villes, le covoiturage peine à décoller pour les trajets du quotidien.
Julie Guillem
Le potentiel est gigantesque. Chaque jour 23,2 millions de Français quittent leur domicile et se rendent sur leur lieu de travail par différents moyens de transport. Selon une étude de l’Insee publiée en février dernier, 70 % d’entre eux utilisent leur voiture pour ces trajets du quotidien. Et dans les zones rurales, plus de huit salariés sur dix ont recours à l’automobile pour rejoindre leurs bureaux. Dans la majorité des cas, ils sont seuls au volant – les consultants et les professionnels de la mobilité les appellent les « autosolistes ». Dans ces conditions, le covoiturage représente une solution prometteuse pour réduire le nombre de véhicules circulant sur les routes matin et soir et limiter l’impact environnemental de ces déplacements.
Fort de ce constat, le gouvernement a décidé de privilégier le covoiturage domicile-travail. En discussion au Parlement, la loi d’orientation des mobilités (LOM) crée un forfait mobilité durable pour accélérer son développement. Sur le modèle des abonnements aux transports publics, auxquels elles participent financièrement, les entreprises pourront prendre en charge une partie des frais de covoiturage engagés par leurs salariés pour rejoindre leur bureau le matin et rentrer chez eux le soir. La participation pourra atteindre jusqu’à 400 euros par an en franchise d’impôt et de cotisation sociale.
L’Etat a décidé de montrer l’exemple en proposant un forfait mobilité durable de 200 euros à l’ensemble de ses agents. Dans la loi de mobilité, le covoiturage au quotidien figure au nombre des solutions d’avenir au même titre que l’amélioration des transports en commun, le déploiement de services publics d’autopartage, la remise en état des réseaux routier et ferroviaire, le désenclavement des territoires et le développement d’applications numériques qui fédèrent l’ensemble des solutions de mobilité.
Des frais divisés par deux
Pour les salariés comme pour la société dans son ensemble, le covoiturage a de multiples avantages. Il permet de concilier protection de l’environnement et réduction des coûts. Avec la baisse du nombre de véhicules sur les routes, les rejets de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques diminuent.
Le covoiturage est aussi bénéfique pour le portefeuille des covoitureurs. Selon Klaxit, start-up créée en 2014, un automobiliste dépense 480 euros par mois en moyenne pour un trajet quotidien de 30 kilomètres entre le domicile et le lieu de travail. S’il prend un passager avec lui, ce montant passe à 360 euros par mois, soit une baisse de 25 %. Avec deux passagers, l’économie atteint 50 % pour un coût mensuel de 240 euros. Le gain obtenu dépasse de loin le montant de la taxe carbone qui a déclenché la colère des « gilets jaunes » et a été abandonnée sous la pression des manifestations. Et l’économie est encore plus importante pour le covoitureur qui abandonne son propre véhicule.
Malgré ses promesses, le covoiturage domicile-travail n’est pas encore rentré massivement dans les mœurs. Selon l’édition 2018 de l’Observatoire des mobilités, seuls 30 % des Français ont recours au covoiturage et ce pourcentage n’a pas évolué depuis 2014. De plus, la pratique s’est essentiellement développée sur les trajets longue distance de ville à ville et non sur les parcours au quotidien.
Pourtant, plusieurs start-up et des grands groupes se disputent ce marché dit du « court-voiturage ». En région parisienne, Ile-de-France Mobilités, le nouveau nom du Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF), travaille avec BlaBlaLines (entité de BlaBlaCar), Covoit’ici (service de la start-up Ecov), IDVROOM (filiale de la SNCF), Karos, Klaxit, Ouihop et Roulez malin pour instaurer la gratuité du covoiturage lors des épisodes de pollution.
L’intérêt des investisseurs
Même s’il est encore embryonnaire, le covoiturage domicile-travail attire des investisseurs qui figurent parmi le gotha de l’économie française. Ainsi, le fonds de la famille de Bernard Arnault s’est invité au capital de Karos, qui compte Xavier Niel (actionnaire à titre individuel du Monde) parmi ses business angels. De son côté, Klaxit a séduit Sodexo, MAIF, RATP, Via ID et INCO, qui sont montés à son capital. Parallèlement, Transdev, filiale à 70 % de la Caisse des dépôts, s’est associée à Karos pour mettre en place une solution de mobilité multimodale pour les 38 000 salariés de la zone aéroportuaire de Toulouse-Blagnac. Les lignes de transport public du réseau urbain et celles des navettes de Transdev seront intégrées au moteur de calcul intermodal de Karos pour proposer des trajets de porte à porte couplant covoiturage et transport en commun.
Opérateur de transport, Transdev veut se réinventer en entreprise de la mobilité et devenir l’un des acteurs de référence de la MAAS, acronyme de « Mobility as a Service », soit une mobilité multimodale accessible via une application numérique qui fédère toutes les offres. Le loueur longue durée ALD Automotive s’est associé à MAAS Global, l’un des acteurs de ce nouveau marché, qui propose sa solution d’autopartage sur le territoire d’Helsinki au sein de son application Whim. « Même si le prix de l’abonnement (500 euros par mois) à ce service est loin des 75 euros mensuels du Pass Navigo, observent Joël Hazan et Hind Chraibi, du Boston Consulting Group, dans une tribune publiée par Le Monde, la proposition de valeur reste attractive pour certains usagers, en particulier pour les propriétaires de voiture individuelle à la recherche d’une alternative crédible pour leurs déplacements du quotidien. »