Voici une dizaine d’années que l’œuvre du réalisateur italien Elio Petri, mort à Rome en 1982, sort petit à petit de l’oubli. Encensée dans les années 1970 pour son engagement politique, associé à une esthétique en rupture avec les canons, elle fut par la suite enterrée, à peu près pour les mêmes raisons. Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970), anatomie d’un flic pervers interprété par le grand Gian Maria Volontè et La classe ouvrière va au paradis (1971), reconduisant l’acteur en prolo opportuniste et Palme d’or au Festival de Cannes, sont ainsi longtemps restés les deux titres qui le résumaient.

Le film se révèle en réalité inclassable, le cul entre les deux chaises de la comédie et du drame

La redécouverte de L’Assassin (1961), des Jours comptés (1962), de La Dixième Victime (1965) ou de La Propriété c’est plus le vol (1973) auront permis depuis lors de resituer à sa juste place ce fils de prolo, grand contempteur des dérives du boom italien et grand visionnaire d’une société de la cupidité qui ne prit sa forme horrifique qu’après sa mort. A sa manière, brutale, primitiviste et farcesque, l’esthétique de Petri révélait, derrière sa rationalité de façade, un système mis en marche pour faire triompher la perversion morale et l’aliénation du veau d’or.

Aussi fallait-il se dépêcher pour repêcher dans cette œuvre décapante et salutaire une autre éventuelle pépite parmi les onze longs-métrages tournés. Ce qu’aura sûrement pensé le critique Jean-Baptiste Thoret, en ramenant dans ses filets Il Maestro di Vigevano (1963) et en l’inscrivant dans la collection de DVD « Make My Day », dévolue au cinéma de genre, chez Studio Canal. Inscription d’ailleurs problématique en ce que le film, candidat retenu au nom de la « comédie italienne », se révèle en réalité inclassable, le cul entre les deux chaises de la comédie et du drame.

Une catastrophe annoncée

L’ambiguïté est évidemment assumée par Pietri, qui choisit comme interprète principal le génialissime Alberto Sordi pour mieux en contrecarrer la mécanique comique. La star de la comédie transalpine incarne Antonio Mombelli, un instituteur grandiloquent et pleutre, soumis dans l’auguste institution qu’il s’honore de servir à la double torture d’un proviseur crypto-fasciste et d’une collégialité cancanière et sordide. A la maison, le tableau n’est guère plus reluisant. Sa femme (l’actrice britannique Claire Bloom), une virago en grève d’amour, le méprise pour la modicité de son salaire et l’inutilité de sa fonction, tandis que son fils travaille indolemment à décevoir les hautes ambitions qu’il forme à son sujet.

Tout va donc assez mal au royaume de Vigevano, capitale lombarde de la chaussure, et tout ira encore plus mal lorsque sa femme arrachera à force d’animosité au misérable pater familias ses derniers sous pour monter avec son frère une entreprise de chaussures. Le « maestro », démissionné de l’éducation nationale, s’y associe d’ailleurs en vue d’une catastrophe annoncée, tandis que s’amassent alentour les fortunes prestement amassées et les nouveaux riches paradant aux terrasses des cafés, tel l’infâme Bugatti, industriel peu scrupuleux qui cause la ruine de son foyer. Singularité de la chose : tout cela fait moins rire que frémir, dérange plutôt que réconcilie. C’est ainsi que devant la bêtise rapace d’un Bugatti, on en vient à requalifier l’imbécillité amène d’un Mombelli. Tout Petri tient dans ce sentiment de malaise.

IL MAESTRO DI VIGEVANO - TRAILER
Durée : 03:26

Film italien d’Elio Petri (1963). Avec Alberto Sordi, Claire Bloom (1 h 45). DVD/Blu-ray, Studio Canal, 19,99 €. Sur le Web : www.studiocanal.fr/cid10245/il-maestro-di-vigevano.html