Le Nigeria, principale porte d’entrée de faux médicaments sur le continent
Le Nigeria, principale porte d’entrée de faux médicaments sur le continent
Par Jasmin Lavoie (Lagos, correspondance)
« CARNET DE SANTÉ ». En Afrique, ce commerce illicite serait à l’origine de plus 100 000 décès par an, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Saisie de médicaments contrefaits à l’aéroport de Lagos, au Nigeria, en octobre 2007. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP
La nuit tombe sur Lagos. C’est l’heure où l’Obalende Market s’éveille. En moto, en kéké – ce tricycle à moteur – ou à pied, les acheteurs y convergent par milliers. Même plongées dans l’obscurité d’une panne d’électricité, les rues poussiéreuses ne perdent rien de leur animation, dominée ici par les concerts de klaxons, là par l’afro-pop des boîtes de nuit. Ça sent l’essence, le poulet rôti, mais surtout les bonnes affaires.
Ici, on trouve tout et tout se négocie : du quartier de melon d’eau au maillot de foot anglais, en passant par le DVD piraté du plus récent film nollywoodien. Des itinérants quêtent à gauche, des prostituées sollicitent à droite, et la marijuana se vend à l’abri des regards entre des vendeurs de faux médicaments qui étalent leur produit sous le nez des passants.
La palette est prometteuse : de l’antipaludéen aux anti-inflammatoires et analgésiques disposés sur une petite table en bois, jusqu’aux boîtes dont l’emballage laisse croire à un effet stimulant sur les performances sexuelles masculines. « Je ne sais pas trop ce qu’il y a dedans. Je vais demander au voisin », répond le vendeur, se tournant vers un collègue pas vraiment plus au fait. « C’est peut-être du Viagra, je ne sais pas. Mais achetez, ça vous rendra plus fort », reprend le premier vendeur qui n’est clairement pas pharmacien.
« Environ 1 400 points d’entrée illégaux »
Quelque 200 mètres plus loin, on nous présente une boîte – déjà ouverte – de douze comprimés pour traiter les symptômes du paludisme, dont le prix s’ajuste à l’intérêt de l’acheteur. « Je te la fais à 500 nairas [1,2 euro] », nous précise le vendeur, un adolescent.
L’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée par le trafic de faux médicaments, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme des produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiée. Le fléau ferait plus de 100 000 morts par an sur le continent selon l’OMS. Au Nigeria comme ailleurs, on les achète parce qu’ils sont vendus moitié moins chers qu’en pharmacie, mais les consommateurs ignorent les risques encourus. Toujours selon l’OMS, 1 sur 10 serait « inefficace » voire « dangereux pour le patient » au Nigeria.
En septembre 2016, quelque 126 millions de faux médicaments ont été saisis par l’Organisation mondiale des douanes dans seize ports africains. Destination finale de 35 % de ces lots, le Nigeria est ressorti de cette opération avec le triste statut de principale porte d’entrée de faux médicaments sur le continent.
Une bonne partie arrive par bateau depuis la Chine et l’Inde. Une autre est fabriquée à l’intérieur même des frontières ou dans les pays voisins. « Il y a environ 1 400 points d’entrée illégaux au Nigeria. La drogue arrive du Bénin et un peu du Cameroun aussi », reconnaît le docteur Abubakar Jimoh, directeur des affaires publiques à la Nafdaq, l’agence nationale chargée de réglementer les médicaments au Nigeria. Reste qu’aux yeux de ce spécialiste, il y a de moins en moins de faux médicaments en circulation dans le pays, notamment parce que la Nafdaq a augmenté le nombre d’inspections dans les ports et surveille mieux les frontières. L’organisation presse aussi le gouvernement d’imposer des peines plus sévères aux producteurs, aux distributeurs et aux vendeurs, qui ne risquent pour l’instant qu’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement.
« Google du médicament »
Pour certaines catégories de médicament, la Nafdaq a même imposé « une identification pour téléphones portables », grâce à des codes-barres à gratter sur les boîtes vendues en pharmacie. Le client envoie par texto le numéro dévoilé à la Nafdaq, qui lui confirme si le médicament sort d’un laboratoire homologué ou non. « C’est une excellente initiative, parce que même certains pharmaciens ne savent pas s’ils vendent des vrais comprimés », observe Kayode Ojewale, journaliste et auteur de plusieurs lettres d’opinion sur les faux médicaments.
En attendant que des solutions arrivent d’en haut, d’autres émergent de start-up au Nigeria. Il y a une quinzaine d’années, Adebayo Alonge a avalé un médicament contre l’asthme dans un hôpital du pays. Plutôt que de l’aider à respirer, le médicament l’a plongé dans le coma pendant trois semaines. Depuis, il est devenu pharmacien et a fondé RxAll, une start-up qui se présente comme le « Google du médicament ». L’entreprise a créé un scanner qui analyse directement la molécule. En vingt secondes, le pharmacien et le client peuvent distinguer le vrai du faux. C’est une belle réussite puisque, en cinq ans, sa compagnie s’est implantée dans treize pays. « Les faux médicaments, au Nigeria comme ailleurs, c’est un fléau. Ce qu’on fait est simple : on veut s’assurer que plus personne ne meurt nulle part sur la planète parce qu’il a pris un faux médicament. Et on va y arriver », estime Adebayao Alonge. Une mission aussi noble que difficile.
Sommaire de notre série « Carnet de santé »
Chaque mercredi, Le Monde Afrique propose une enquête, un reportage ou une analyse pour décrypter les avancées des soins et de la prévention sur le continent.