Des avions de la compagnie Jet Airways, le 26 mars 2019, dans l’aéroport international de Bombay. / Francis Mascarenhas / REUTERS

Sauf coup de théâtre de dernière minute, la disparition de la compagnie indienne Jet Airways semble désormais inéluctable. Etranglée par la hausse des prix du kérosène, la chute de la roupie face au dollar, et un marché concurrentiel de plus en plus agressif, le deuxième transporteur aérien de l’Inde a été contraint d’annuler tous ses vols internationaux pour la journée du vendredi 12 avril.

Ainsi en a décidé la Direction générale de l’aviation civile, à Delhi, après que la compagnie, endettée à hauteur de 85 milliards de roupies (1,1 milliard d’euros), a fait savoir aux autorités boursières qu’elle était contrainte de clouer au sol dix avions supplémentaires, ce qui ne lui laisse plus que quatorze appareils pour voler, sur une flotte qui en comptait cent vingt-quatre il y a encore quelques mois.

La règle veut en effet, dans le sous-continent, qu’en deçà de vingt avions disponibles, aucune compagnie aérienne ne soit autorisée à assurer un service à l’international. Etrangement, la direction de Jet Airways s’est contentée d’indiquer laconiquement que ces nouvelles immobilisations d’avions s’expliquaient par le « non-paiement des sommes dues aux loueurs » desdits avions, et qu’elle faisait « son possible » pour éviter la gêne occasionnée à ses clients.

Un très mauvais coup pour Air France

C’est une très mauvaise nouvelle pour les voyageurs européens, car tout laisse à penser que les avions ne revoleront pas de sitôt. Une source interne citée par le journal financier Business Standard a précisé dans la soirée du jeudi 11 avril que les vols à destination de Paris, Londres et Amsterdam, au départ de Bombay, Delhi et Bangalore, étaient annulés pour vingt-quatre heures, ajoutant que la liaison Bangalore-Amsterdam-Bangalore le serait également samedi 13 avril.

Les déboires de Jet Airways sont un très mauvais coup pour Air France liée par un partenariat avec la compagnie indienne. Le 31 mars, Anne Rigail, directrice générale d’Air France a inauguré une nouvelle liaison depuis Paris vers Dallas (Texas), où réside une forte communauté indienne, avec comme objectif de remplir ses avions avec l’appui de passagers apportés par Jet Airways. Ces derniers peuvent occuper jusqu’à 30 % des sièges disponibles entre Paris et Dallas sur les vols d’Air France. « Le joint-venture avec Jet Airways fonctionne très bien entre l’Europe et l’Inde. Le partenariat est tellement positif que l’on fera tout pour soutenir la compagnie indienne », avait alors indiqué Mme Rigail. Outre Air France, KLM devrait aussi souffrir des conséquences des difficultés de Jet Airways. Fin mars, la compagnie néerlandaise a aussi ouvert une liaison directe entre Amsterdam et Dallas en tablant sur l’apport de passagers indiens pour remplir ses appareils.

Sur son marché domestique, Jet Airways a aussi suspendu les vols desservant trois capitales régionales du nord-est : Calcutta (Bengale Occidental), Patna (Bihar) et Guwahati (Assam). Contacté par Le Monde, un salarié au sol en poste à l’aéroport de Bombay a confirmé ces informations fournies en interne par la direction.

Les sauveurs de Jet Airways ne se bousculent pas au portillon

Le 25 mars, le fondateur de Jet Airways, Naresh Goyal, avait soulevé un espoir en annonçant qu’il lâchait les commandes du groupe, levant le principal obstacle invoqué jusqu’alors par l’actionnaire de référence, la compagnie Etihad d’Abu Dhabi (24 % du capital), pour ne pas injecter d’argent frais dans l’entreprise. Les banques détentrices de la dette de la compagnie ont récemment transformé une partie de leurs créances en actions, en attendant de trouver un repreneur industriel. Lundi 8 avril, elles ont lancé un appel à candidatures mais les sauveurs de Jet Airways ne se bousculent pas au portillon.

Selon la presse indienne, quatre sociétés étudieraient le dossier de près : Etihad d’abord, associé au fonds souverain indien National Investment and Infrastructure Fund Ltd (NIIF), mais également les fonds d’investissements américains TPG Capital et Indigo Partners (qui n’a rien à voir avec IndiGo, numéro un indien du transport aérien). Des rumeurs de marché prêtent par ailleurs au conglomérat Tata, déjà présent dans l’aérien depuis qu’il a pris en 2013 une participation dans la filiale indienne de la compagnie malaysienne Air Asia, et fondé en 2015 la compagnie Vistara avec Singapore Airlines, l’intention de déposer une offre, ce que l’intéressé ne confirme pas. In fine, la reprise de Jet Airways s’annonce très incertaine. Le marché indien est le théâtre d’une féroce concurrence entre les compagnies à bas coûts locales qui tirent les prix vers le bas. Au mépris de toute rentabilité. Cette guerre avait déjà provoqué, en 2012, la faillite de la compagnie aérienne Kingfisher.