Les lignes bougent entre gentils et vilains drones
Les lignes bougent entre gentils et vilains drones
Par Jean-Michel Normand
Le drone est mieux considéré du point de vue de ses usages professionnels que comme bien de consommation
Un quadricoptère en cours de mission de surveillance. / FRANÇOIS MORI / AP
Gentils drones contre vilains drones : depuis une demi-douzaine d’années qu’il fait parler de lui, l’aéronef piloté à distance a toujours présenté cette dualité. Il fascine, ouvre des horizons parfois vertigineux, mais ne fait pas l’unanimité. Bref, certains de ses usages provoquent la défiance. Il y eut d’abord le drone militaire – potentiellement robot tueur – pour jouer le rôle du bad cop. Lui faisait face le drone civil, le good cop, celui qui guide les soldats du feu, donne des yeux aux archéologues, offre des images superbes aux médias et aux organisateurs de fêtes familiales, ravit enfants et grands enfants au pied du sapin.
Il semble qu’un changement de paradigme se soit discrètement glissé dans le paysage. La récente décision d’armer les drones militaires de l’armée française n’a guère provoqué de remous. Les raids meurtriers opérés contre des terroristes islamistes en Afrique pas davantage. Les survols de manifestations par des drones des forces de l’ordre ne sont pas pointés du doigt. En revanche, le quadricoptère de loisirs a perdu de sa superbe. Cet objet qui se voyait devenir un produit techno de grande consommation à vocation familiale, l’égal des caméras GoPro et compagnie, doit constater que la greffe n’a pas pris. Non seulement ses ventes se sont effondrées (au grand dam de Parrot, pépite de la tech française) mais son acceptabilité sociale en a pris un coup.
Des passagers bloqués en décembre 2018 dans l’aéroport de Gatwick par l’interruption des vols provoqués par le signalement d’un drone près des pistes. / PETER NICHOLLS
A cet égard, les longues et coûteuses perturbations subies par l’aéroport de Gatwick à la fin de décembre 2018 à la suite d’un possible survol des pistes – personne n’est absolument sûr qu’il s’agissait bien de drones, mais le plus important est sans doute qu’un tel incident soit techniquement envisageable – a fait croître une défiance largement présente dans l’opinion. Les survols de centrales nucléaires et de bâtiments publics français en 2015 avaient fait office de précédent. On s’inquiète beaucoup de l’efficacité (assez aléatoire, jusqu’à présent) des systèmes permettant de neutraliser un drone approchant un aéroport ou suspect de servir à une attaque terroriste. A contrario, on ne s’émerveille plus devant les images, spectaculaires mais désormais habituelles, qu’offre cet engin dont le bruit, paraît-il, figure parmi ceux que l’oreille humaine supporte le moins bien…
Un hobby pas toujours bienvenu
« Des drones, on en entend exclusivement parler de manière négative. C’est un vrai problème et, très franchement, cela n’aide pas à en vendre… », dit en soupirant un fabricant. De fait, faire voler un drone devient un loisir de plus en plus contraint. Il faut désormais passer un test de connaissance en ligne pour piloter un multicoptère de plus de 800 grammes mais aussi respecter des interdictions de vol et des plafonds d’altitude multiples et complexes. Sous peu, les drones des particuliers devront être – y compris rétroactivement – équipés de systèmes d’identification électroniques (signal Wi-Fi) et lumineux. Des dispositions toujours en attente d’un examen par le Conseil d’Etat alors que la loi a été votée il y a plus de deux ans.
En attendant, l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités (LOM) supprime l’obligation – improbable, il est vrai – d’un signalement sonore qui se déclencherait en cas de perte de contrôle d’un drone piloté par un particulier. Cette réglementation n’explique pas le moindre attrait des drones de loisirs. Aujourd’hui, beaucoup d’amateurs constatent que leur hobby n’est pas toujours le bienvenu dans l’espace public, même en respectant scrupuleusement la réglementation.
Un drone de surveillance filaire d’Azur Drone. / AzurDrones
Le « bon drone », aujourd’hui, est celui que l’on ne voit pas – ou rarement – mais qui rend service à la collectivité. Les pompiers en sont devenus de gros consommateurs pour intervenir sur des sinistres de toutes sortes, de même que les géomètres, les architectes (qui peuvent ainsi suivre les chantiers de plus près) ou les gestionnaires de réseaux électriques pour inspecter leurs pylônes sans exposer leur personnel. On peut aussi citer les services municipaux à la recherche d’immeubles insalubres ou les concepteurs de feux d’artifice qui s’y intéressent de plus en plus près.
Dans une société sécuritaire, le drone est d’ores et déjà promis à occuper une place de choix comme dispositif de surveillance d’événements publics (concerts, manifestations sportives) et d’installations privées (établissements « sensibles », centrales nucléaires). Ce glissement n’a rien de surprenant ; désormais, le centre de gravité de l’économie du drone s’inscrit clairement dans le champ des applications professionnelles qui, sans avoir connu la frénésie initiale qui a secoué le marché des loisirs, poursuivent, voire accélèrent, leur expansion.
Reste à savoir si les prochaines étapes qui verront se multiplier les usages d’engins volants sans pilote en milieu urbain et périurbain – relevés numériques pour la construction mais aussi livraisons de colis ou de produits alimentaires et, après-demain, robots taxis volants – ne poseront pas de nouveau, et avec encore davantage d’acuité, la question de l’acceptabilité sociale des drones.